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XVIe législature : quelle place pour la prévention des déchets ?

19/09/2008 : Le peristyle, la colonnade et le fronton du Palais Bourbon façade
Par MESLARD-HAYOT Hugo le 13/08/2022
1ère Mise à jour (MAJ) le 15/08/2022
2ème MAJ le 17/08/2022
Après cinq ans de députation où les textes de lois concernant les déchets se sont succédés, la nouvelle législature devrait surtout reprendre et appliquer les mesures du mandat précédent. Selon Zero Waste, Amorce et le député P.BOLO, les enjeux se situent à différents niveaux.

Les cinq ans à venir seront circulaires ou ne seront pas ?

La XVe législature s'est terminée début 2022 avec un nombre important de textes ayant modifié le quotidien des travailleurs des déchets et des citoyens. En point d’orgue, il y a eu la loi AGEC en 2020, mais aussi la loi EGALIM en 2018, la loi Climat et Résilience en 2021, ou encore la loi REEN de la même année. Elles ont eu trait à cette thématique également. La XVIe législature (en pause estivale à ce jour) a démarré avec un paysage politique renouvelé, et une majorité relative pour les députés « Renaissance ». Elle a commencé l’examen de ses premiers textes sur la loi sanitaire, la loi pouvoir d’achat, la loi de finances rectificative pour 2022… Le sujet des déchets fait partie, entre autres, du code de l’environnement et des thématiques écologiques en général (mais pas que). Pour ce second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a déclaré lors de la campagne présidentielle que sa politique « dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas », le départ ne l’est pas. Comme l’analyse le média spécialisé Contexte environnement, « un tas de décisions réglementaires défavorables à l’environnement s’empilent depuis la réélection d’Emmanuel Macron ». Il en va ainsi de la réouverture de la centrale à Charbon de Saint-Avold, des 230 millions d’euros d’aide aux particuliers pour remplir leur cuve à fioul, de la hausse de la remise à la pompe dès septembre (plusieurs milliards d’euros d’argent public), etc. Le début est jugé mauvais par le Réseau Action Climat (RAC) aussi mais il note « quelques avancées sur les mobilités, notamment une augmentation du forfait mobilité durable » (RAC, 2022). En mesures plus positives que celles décriées plus haut, nous pouvons retenir la prolongation du bonus écologique pour les ménages qui veulent changer de véhicules (Gouvernement, 2022) ce qui représente plus de 400 millions d’euros selon la Ministre A. PANNIER-RUNACHER. Même somme dixit la Ministre toujours pour « intensifier la rénovation énergétique » avec « Ma Prime Rénov ». Aussi 5 millions vont être dépensés pour le plan vélo. Pour l’instant les déchets ont été épargnés par les parlementaires de cette nouvelle législature. Dans sa déclaration de politique générale, la première Ministre Élisabeth Borne a d’ailleurs fait comprendre que le quinquennat 2022-2027 s’appuiera sur le précédent pour sortir « de la société du gaspillage et du tout-jetable » (République française, 2022). Tous les textes d’application de la loi AGEC n’ont pas été publiés plus de deux ans et demi après la publication du texte.

Capture d’écran du paragraphe dédié à la déclaration de politique générale d’Elisabeth BORNE devant l’AN le 6 juillet

Un des rôles du parlement est justement de contrôler l’action du gouvernement, et il y aura de la matière sur ce sujet en 2023. Un autre rôle est celui de proposer des lois, il n’est pas impossible que des députés sensibles aux sujets veuillent changer la donne actuelle.

Quels enjeux en matière de prévention ? financement, et application puis contrôle des textes pour ZW France et le député P.BOLO

Quels sont les enjeux en matière de déchets et plus particulièrement de prévention des déchets sur le prochain mandat 2022-2027 (députés) ? Voici la question qui a été posée séparément à différents acteurs du « monde des déchets ». Trois ont répondu, Amorce, Zero Waste France, et le député Philippe BOLO.

Le député BOLO (groupe Démocrate : Modem et indépendants) et Alice ELFASSI de l’association Zero Waste France ont des réponses similaires. Pour Philippe BOLO « La réduction des déchets doit devenir une priorité. » il poursuit son propos par une remarque,« C’est un sujet de la transition écologique que je trouve un peu délaissé par les législateurs ». Pour la responsable des affaires juridiques Alice ELFASSI, dont l’association agit sur ce sujet depuis 1997, voici sa réponse « Pour enfin mettre la prévention au cœur de la politique déchets, le nouveau mandat 2022-2027 doit orienter prioritairement les aides financières publiques vers les solutions de réduction des déchets, en particulier le réemploi et la réparation ». Par exemple, Zero Waste France bataille juridiquement pour maintenir l’ambition initiale du fonds réparation (Zero Waste France, 2021). Comme expliqué dans un précédent article, juridiquement, les soutiens et aides publics doivent théoriquement aller prioritairement à la prévention mais ça n’est pas le cas du tout. L’année 2023 va voir des nouveautés arriver en matière de réemploi, de réparation, de tri à la source des biodéchets… Théoriquement la prévention devrait progresser, son financement aussi probablement. Dans un entretien accordé à Contexte Environnement, le futur directeur adjoint de l’économie circulaire à l'Ademe a plaidé pour atteindre 300 millions d’euros de budget pour le fonds économie circulaire l’année prochaine. Il explique que c’est « le minimum pour continuer la transition vers une économie circulaire avec un fonds à la dimension des enjeux ».

Le montant du Fonds déchets (ancêtre du fonds économie circulaire) de l'Ademe entre 2009 et 2011 a dépassé 200 millions d'€ en 2011.

Hors plan de relance, s’il était voté ainsi dans la future loi de finances pour 2023, ce serait le niveau (en valeur absolue) historiquement le plus haut jamais atteint pour ce fonds 1. Un peu avant chronologiquement, lors du Congrès de la FNADE, Vincent COISSARD, sous-directeur déchets et économie circulaire du Ministère de la Transition écologique, avait conseillé une voie similaire « Le fonds économie circulaire aura besoin d’être renforcé » (Contexte Environnement, 2022). Rien ne filtre dans ces propos quant aux réorientations possibles de crédits vers la prévention. Sur le terrain en tout cas, la prévention devrait avoir plus de visibilité en 2023.

Pour Alice ELFASSI, « Un autre enjeu majeur du quinquennat est le contrôle de l'application effective des mesures de prévention déjà mises en place » notamment dans la loi AGEC et « […] que les pouvoirs publics mettent les moyens pour contrôler leur respect » 2. Vincent COISSARD, cité plus haut, anticipe déjà lui le non-respect de l’obligation de tri à la source des biodéchets au 31 décembre 2023. Interrogé au Congrès de la FNADE sur le respect de l'objectif de tri à la source, il a répondu « On sait que tout le monde ne sera probablement pas au rendez-vous ». « Est-ce que c’est grave ? Pas forcément. Un cap a été fixé et l’important est que tout le monde soit dans la bonne dynamique. » (ibid. Contexte Environnement). En sera-t-il de même pour la diminution de 50 % de la mise en décharge de déchets non dangereux entre 2010 et 2025 ? de l’objectif de baisse de 20 % des emballages plastiques à usage unique mis sur le marché entre 2018 et 2025 ? de l’installation de filtres à microplastiques sur les lave-linges neufs en 2025 ? de la baisse du gaspillage alimentaire, du développement du vrac ? etc. A quoi servent les lois et textes réglementaires associés si l’on ne se donne pas les moyens de les respecter ? Le député Philippe BOLO indique lui « La loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire » de février 2020 va devoir être évaluée pour vérifier qu’elle atteint bien les objectifs qu’elle a fixés. Au-delà de la loi AGEC, c’est l’ensemble des dispositifs ciblant la réduction et la gestion des déchets qu’il faudra évaluer. Ce travail permettra d’identifier ce qui fonctionne et ce qu’il faut renforcer sur le sujet des déchets. » Le député termine sa réponse en remarquant qu’il continuera son travail sur la pollution plastique, entamé lors de son mandat précédent avec un rapport remarqué publié fin 2020 sous l’égide de l’OPECST 3. Pour reprendre le mot du député cité plus haut, le sujet de la prévention des déchets ne devrait pas être « délaissé » en 2023.

Suite à un décompte, les décheticiens a recensé à minima neuf articles de la loi AGEC qui ciblent l’année 2023. Aussi, à minima seize mesures réglementaires (décret et arrêtés de la loi AGEC surtout) doivent entrer en vigueur la même année sur les 103 identifiés par le Secrétariat général du Gouvernement dans le rapport de Mmes KERBARH et PANOT (cité plus loin). Près de 15 % des textes d'applications de la loi (voire plus en cas d'oublis) entreront en vigueur en 2023. Ce sont des décrets et arrêtés généralement liés à la loi AGEC. Pour les filières REP, six nouvelles filières REP doivent voir le jour pendant cette législature dont deux en 2023 (emballages de la restauration et filière pneumatiques) 4. Enfin, pour les filières REP, quatre doivent être renouvelés en 2023 (emballages ménagers, Textiles/linges/Chaussures, producteur de tabac suite à la décision du Conseil d’Etat du 28/07 et Dasri), et deux prendront fin au 31 décembre 2023 (REP Déchets d’ameublements et d’équipements, et REP bateaux de plaisance et sport). Certains peuvent considérer que la filière REP pour les produits et matériaux du secteur de la construction et du bâtiment n’est pas encore entrée en vigueur faute d’éco-organismes agréés notamment, ça devrait arriver sous peu. Donc les députés ont potentiellement du pain sur la planche pour contrôler l’action du gouvernement sur ces sujets dès l’année prochaine.

En matière d’évaluation, des travaux ont déjà été menés mais le 10 février 2023 sera le dernier jour pour présenter le rapport d'évaluation sur l'impact de la loi AGEC prévu par l’article 145-7 alinéa 3 du règlement de l'Assemblée Nationale. Cet hypothétique rapport doit faire « notamment état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi » (Assemblée Nationale, 2022). Sur la base de l’alinéa 1 de ce même article 145-7, les députés, Mmes KERBARH et PANOT avaient déposé le rapport d’information sur la mise en application de la loi AGEC en 2020. Il est consultable ici. Côté Palais du Luxembourg, le Sénat publie chaque année depuis 50 ans son bilan de l’application des lois.

Ce bilan recèle de précieuses informations pour les députés également. Dans le dernier bilan publié sur la session parlementaire 2020/2021, il y a le bilan de la loi AGEC de 2020 (Sénat, 2022). Son taux d'application a donc progressé entre le 31/03/2021 et le 31/03/2022 en passant de 40 % à 78 %. Ainsi, la rédactrice Pascale GRUNY note "une accélération dans la mise en oeuvre de la loi compensant pour partie les retards pris dans les premiers mois" (dus au Covid notamment). Néanmoins, elle enchaîne par "certains retards restent particulièrement dommageables" comme sur l'information au consommateur (art. 13), le diagnostic PEMD (art.51), la REP PMCB (art. 62). La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a regretté la baisse du montant alloué au fonds réparation et le retard d'application du fonds réemploi.

Il reste donc une part à appliquer sur le quinquennat qui vient, on retrouve là le sens des propos d’Elisabeth BORNE dans sa déclaration de politique générale.

Aussi pour l’évaluation des « dispositifs ciblant la réduction et la gestion des déchets » dixit M.BOLO, les députés peuvent solliciter depuis l'an 2000, auprès du gouvernement, la mise à disposition du rapport prévu à l’article L541-49 du code de l’environnement. Cet article indique que le Gouvernement doit présenter chaque année au Parlement un rapport sur l’application du chapitre dédié à la prévention et gestion des déchets. Enfin, un rapport de la Cour des Comptes devrait voir le jour d’ici la fin de l’année sur la prévention et la gestion des déchets, il pourrait contenter quelques députés.

Pour Amorce, il faut cibler les consommateurs et les metteurs en marché d'abord

Notre troisième interlocuteur voit des enjeux ailleurs pour cette nouvelle Assemblée. La réponse est toute autre à cette « vaste » question selon Nicolas GARNIER, délégué général d’Amorce. Pour Nicolas GARNIER « L’enjeu c’est le changement de consommation. Aujourd’hui les consommateurs jettent massivement dans les poubelles plutôt que dans la nature, ils savent trier massivement les déchets en grande partie. Ils n’ont pas de comportements de consommation qui visent à réduire les déchets (choisir du réemployable, vrac, réparable…). Il faut modifier massivement les comportements d’achat pour provoquer une réduction significative et mesurable de la gestion des déchets. Il y a deux mondes qui ne se comprennent pas « les bobos écolos », et de l’autre 99 % des gens ne s’occupent pas de ce sujet-là. Ils ont des actes à la marge, avec le risque de faire une petite action pour se donner bonne conscience. Il y a beaucoup de bluff sur le zéro déchet. »

Nicolas GARNIER, délégué général d'Amorce.

Le délégué général de l’Association Amorce, qui défend l’intérêt des collectivités, enchaîne avec une proposition pour aider les consommateurs : « On défend l’idée d’un logo mini-déchet pour guider les gens vers ces achats-là. Il serait difficile à produire. Il faut que ce logo soit contrôlé par des organes indépendants sinon on est dans le greenwashing. Ce logo doit amener à des changements chez les metteurs de marché pour qu’il n’y ait plus de yaourt en polystyrène par exemple. Le logo info-réemploi 5 c’est un début mais ça n’est pas suffisant. »

L'info-tri a été décliné en "info-réemploi" selon le rapport annuel 2021/2022 de Citeo (Source visuel : Citeo).

Faisant écho à ses propos précédents sur une « réduction significative et mesurable » des déchets, Nicolas GARNIER évoque que « Sur la prévention, on a du mal à concrétiser, à évaluer les gisements détournés. C’est l’enjeu. » Des propos qui peuvent étonner au regard des nombreuses données produites depuis plusieurs années par l’Ademe, comme par exemple cette étude sur les gisements d’évitement et les potentiels de réduction des déchets. Des données qui ont parfois été produites par Amorce.

Aussi, au sujet de la tarification incitative, il précise « Sur la tarification incitative, nous sommes en désaccords avec les données de l’Ademe 6. […] Nous sommes favorables à son élargissement aux recyclables secs et aux dépôts en déchèterie. 7 »

En phrase conclusive, Monsieur GARNIER boucle l’interview par ces mots qui ont été le fil rouge de son argumentation « Il faut batailler avec les metteurs sur le marché, les populations ». Les enjeux de prévention des déchets pour les collectivités pour cette nouvelle législature n’ont donc pas été évoqués lors de l'entretien.

Nul doute que ce quinquennat devrait voir progresser la circularité des déchets, étant entendu que l’économie circulaire n’est pas un concept qui masque une politique surtout orientée vers le recyclage plutôt que vers la prévention. Comme pour les autres thématiques environnementales, une des questions reste est-ce que les mesures qui vont être votées, appliquées, seront à la hauteur des enjeux de l’époque ?

P-s. : Philippe BOLO et Alice ELFASSi ont répondu par email à la question. Nicolas Garnier a répondu par téléphone.

Sources :

Assemblée Nationale, 2022. Règlement de l’Assemble Nationale.
Contexte environnement, 2022. Briefing du 22 juin 2022. Le financement du tri à la source des biodéchets débattu lors du congrés de la Fnade.
Contexte environnement, 2022. Briefing du 20 juillet 2022. Le fonds « économie circulaire » de l’Ademe a besoin de 300 millions d’euros pour tourner, estime Raphaël Guastavi.
Contexte environnement, 2022. Ecologie, le difficile alignement des planètes à l’assemblée.
Gouvernement, 2022. Prolongation du bonus écologique jusqu’au 31 décembre 2022.
Réseau Action Climat, 2022. Paquet de lois pouvoir d’achat : des reculs sur le climat et pas de solutions pérennes pour les ménages en précarité.
République française, 2022. Déclaration de politique générale de Mme Elisabeth Borne, Première ministre, sur le pouvoir d'achat, le plein emploi, l'énergie, la nationalisation d'EDF, l'égalité des chances et la souveraineté, à l'Assemblée nationale le 6 juillet 2022.
Sénat, 2022. Rapport d’information sur le bilan annuel de l’application des lois au 31 mars 2022.
Zero Waste France, 2022. Suite du feuilleton « fonds réparation » : Zero Waste France va en justice contre la baisse de son montant.

  1. le 2e fonds le plus important derrière le fonds chaleur pour l’Ademe[]
  2. à ce sujet, vous pouvez lire cet article paru dans le journal le Monde[]
  3. Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques[]
  4. Les autres sont les textiles sanitaires à usage unique en 2024, les gommes à mâcher en 2024, les engins de pêche contenant du plastique en 2025, et les emballages industriels et commerciaux en 2025[]
  5. logo mis en place par Citeo[]
  6. Sur les chiffres avancés par l’Ademe sur la baisse de la production de déchets, comme ceux indiqués ici[]
  7. Comprendre ici en plus des ordures ménagères[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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