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La prévention des déchets sauvages mise en avant par le Ministère de la transition écologique

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Le Ministère de la Transition Ecologique vient de publier sur son site Internet un guide à destination principalement des collectivités pour lutter contre les « dépôts sauvages », autrement dit lutter contre l’abandon illégal de déchets, via des outils préventifs et répressifs

Cet article évoquera la prévention des déchets sauvages quasi exclusivement. Les sanctions et contrôles font l’objet d’une médiatisation importante, et ce depuis des années, ce qui est moins le cas des actions de prévention (opinion). Il est évidemment probable que la répression dissuade et prévienne aussi la formation des déchets sauvages.

Photo personnelle

L'association Gestes Propres a la baguette

Cette association vient de passer le cap de la cinquantaine, elle a été créée en 1971 sous le nom d’association Progrès et Environnement, puis elle devenue Vacances Propres pour finalement se nommer Gestes Propres depuis 2017 (Eco-emballage, 2017). Elle a été mandatée par le Ministère de la Transition Ecologique pour mener le groupe de travail sur la prévention des déchets dans le cadre de la feuille de route économie circulaire. Elle a coordonné la production du chapitre II de ce guide, consacré à la prévention des déchets. Voici comment G.BERTOLINI parle de Vacances Propres lors du tournant décisif du passage de la consigne du verre au verre perdu :

« Disons seulement que lorsque la convention a été signée par le Ministère de l’Industrie, on pouvait noter à l’époque quelques regrets dans les propos des gens du secrétariat d’Etat à l’Environnement. Le retour au verre consigné aurait permis – entre autres – de limiter les rejets sauvages ; pour compenser cela, les industriels de l’emballage, dans le cadre de l’opération « vacances propres » mettaient çà et là à disposition de grands sacs plastiques, pour inciter à plus de civisme » (Bertolini, 1978).

Aujourd’hui parmi les partenaires de Gestes Propres, on retrouve de grands metteurs sur le marché d’emballage, Danone, Coca-Cola, Procter & Gamble ou encore l’éco-organisme Citeo (Gestes Propres, 2019). Peut-être peut-on y voir là une des raisons expliquant le type de communication que diffuse Gestes Propres. Cette communication culpabilise généralement les individus comme l’a écrit un journaliste de Bastamag. Cette communication évoque généralement des déchets qui devraient être triés, bien jetés à la poubelle, ou qui auraient pu être recyclés sans jamais évoquer la possibilité de les éviter, comme par exemple pour les masques chirurgicaux (évitables via des masques en tissus) ou pour les bouteilles en plastique, évitable en buvant de l’eau du robinet. Le Ministère de la Transition Ecologique a publié un document mettant au jour que les quantités d’emballages plastiques mises sur le marché en France pour les eaux plates et gazeuses. Cela représente chaque année 10 % des quantités totales d'emballages plastiques mises sur le marché (Minstère de la transition Ecologique, 2020). Cela fait des bouteilles plastiques un des premiers emballages plastiques mis sur le marché. Par ailleurs, une étude américaine de 2019 1 a montré qu’un américain ingérait des microparticules de plastique dont une dizaine via l’eau du robinet, chaque jour, quand l’eau en bouteille lui en fournissait quinze de plus (Gontard, 2020). L’intérêt à communiquer sur l’évitement des bouteilles plastiques pourrait être détritique mais également sanitaire.


Photo de campagne de communication de Gestes Propres

Photo de campagne de communication de Gestes Propres

La feuille de route économie circulaire comme point de départ

La publication de ce guide s’inscrit dans les pas de la feuille de route économie circulaire, et notamment sa mesure 27 que voici décrite « Sur la base des travaux de l’Ademe, élaborer début 2019 un référentiel de bonnes pratiques et d’outils destinés aux collectivités pour LUTTER CONTRE LES DÉPÔTS SAUVAGES DE DÉCHETS ». Cette publication a donc près de deux ans de retard. L’association Gestes Propres dit pourtant dans son rapport annuel 2019, avoir remis « le texte rédigé destiné au guide » en avril 2019. Les travaux de l’Ademe étaient ceux de 2019 intitulés « Caractérisation de la problématique des déchets sauvages ».
La mesure 39 de cette feuille de route visait également l’abandon illégal de déchets via le prisme de la sanction. Elle visait à « simplifier les contraintes pour les autorités chargées de la police déchets », elle a été mise en œuvre via la loi Antigaspillage pour une Economie Circulaire (AGEC) de février 2020.
Cette priorisation gouvernementale à agir sur le volet répressif en premier lieu, avant le volet préventif, contrevient dans l'esprit à la hiérarchie européenne des modes de traitement des déchets qui voudrait en théorie que la prévention soit le premier mode de traitement privilégié. Le gouvernement a agi en premier sur le traitement du problème via le code pénal notamment (bien qu’une loi puisse dissuader et éviter les déchets sauvages). Ceci peut s’expliquer, entre autres :

  • par la force de l'habitude qui perpétue la priorité donnée au volet répressif ;
  • par la pression mise par des collectivités pour simplifier l'arsenal législatif afin de faciliter l'action répressive sur le terrain.

Cette priorité donnée au volet répressif m’interroge car, à ma connaissance, jamais la politique répressive, ni la politique préventive quant aux déchets sauvages, n’a fait l’objet d’une évaluation globale de son efficacité à l’échelle nationale. Qui plus est, la publication précitée de l’Ademe de 2019 met au jour que les mesures des déchets sauvages par les collectivités sont quasi inexistantes. Voici l’extrait révélateur : « l’enquête électronique indique que 87 % des collectivités interrogées, concernées par les déchets sauvages, n’ont pas de données chiffrées. Seules 4 % disposent de données mesurées et 9 % de données estimées. ». Les données mesurées sont des mesures pondérales. Il n’est pas fait mention de caractérisation précise des déchets sauvages, à l’instar d’une caractérisation de type Modecom par exemple. Avec de telles lacunes sur cette quantification et qualification des déchets sauvages, il paraît difficile d’évaluer une politique publique préventive et répressive en l’absence de diagnostic fiable et comparable entre territoires. Ce guide vise à y remédier en aidant les collectivités pour lutter contre les déchets sauvages 2. Ici, le Ministère de l’Ecologie ne propose pas de financement pour mettre en place cette politique 3.

Bref historique de la lutte Etatique contre les déchets sauvages :
financement et réglementation en 1970-1980 à la... réglementation et au guide en 2020.

Au début des années 1970, la mobilisation contre les déchets sauvages était subventionnée via le Fonds d’intervention pour l’aménagement de la nature et de l’environnement (FIANE), ainsi apparu les premiers programmes départementaux pour le ramassage systématique des épaves de voitures (Medde, 2013). L’Agence Nationale pour la Récupération et l’Elimination des Déchets (ANRED) 4 créée en 1976, consacra un tiers de ses ressources (subventions) contre les dépôts sauvages (résorption, réhabilitation, campagne de communication telle que celle « Gardons la France propre »…) lors de son premier programme d’action 1978-1984 (ibid. Medde, 2013). Les subventions se sont réduites dans les années 1980. La réglementation, l’incitation et la communication ont payé nous dit ce dossier historique sur la politique nationale des déchets. C’est probable pour la communication selon G.MOSER, psycho-environnementaliste "La communication au moyen d'affiches ou de notices est la plupart du temps destiné à renforcer la norme comportementale. Ce type d'incitation n'est efficace que si l'incitation concerne un comportement peu coûteux, et qui ne touche pas des domaines essentiels (Geller, Winett et Everett, 1982)." (MOSER, 2009). La fin des financements est peut-être due aux lois de décentralisation qui ont déconcentré les compétences à des échelons plus locaux depuis près de 40 ans (Ministère de l’Intérieur, 2012).
A l'époque la réglementation fut inflationniste aussi comme les financements. Historiquement les derniers grands efforts financiers faits pour lutter contre l’abandon illégal de déchets se sont portés sur les décharges brutes 5 et les décharges sauvages qui maillaient le territoire il y a quelques décennies. L’action était curative et préventive via la résorption des décharges et via la multiplication des déchèteries depuis 1981. Par exemple, la prévention des déchets sauvages était mentionnée notamment dans la circulaire du 26 juin 1987. Cette circulaire invitait à la prévention des dépôts sauvages par la création de déchèterie. Depuis la prévention a (à ma connaissance) rarement fait l’objet d’une mise en lumière telle que dans ce guide. Dans l’histoire des déchets sauvages, C.DE SILGUY évoquait « environ vingt mille dépôts sauvages » dans l’hexagone en 1986 (DE SILGUY, 1989). Aussi, Sabine BARLES, citant l’Ademe comme source, dans son ouvrage de 2005 6 écrivait « Au début des années 1990 encore on comptait 7 875 décharges d’ordures ménagères en France, dont seulement 975 autorisées, les autres étant des décharges brutes, auxquelles s’ajoutaient 10 000 à 20 000 dépôts de bord de route. ». Elle précisait un peu plus loin que les décharges brutes se sont multipliées jusqu’aux années 1980, qu’il y en avait 6900 recensées en 1992 contre 3772 en 1995, mais l’Ademe en recensait 6000 en 1998. Le rapport de D.DRON de 1997 intitulé, Déchets municipaux : coopérer pour prévenir, évoquait que « Depuis 1978, environ 10 000 décharges brutes ou sauvages ont été supprimées ». Il mentionnait aussi l’objectif de 0 % de déchets envoyé en décharge brute en 2010. Cette volonté de baisse des décharges brutes a fait l’objet d’une kyrielle de circulaires entre les années 1960 et aujourd’hui marquant la volonté Étatique de résoudre ce problème. Malgré l’insistance de l’Etat sur l’échéance fixée au 1er juillet 2002 pour la fin des décharges brutes, des circulaires postérieures à cette date sont venues attestées de la non atteinte de cet objectif. Ainsi, par exemple de la circulaire du 24 février 2004, signée par la ministre de l’écologie et du développement durable d’alors, Roselyne BACHELOT-NARQUIN 7, qui venait rappeler l’obligation de faire cesser les décharges non autorisées (brutes) conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1992. Un ultimatum était posé au 31 décembre 2004.

Décharge illégale de Carrière-sous-Poissy (source : France 3, 2018)

Politiquement, le sujet me semble avoir fait l'objet de plus d'attention et de médiatisation sous le quinquennat Macron que sous le quinquennat Hollande. La loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte de 2015 a peu évoqué en son temps les déchets sauvages. Sous la Présidence Macron, une étude Ademe de 2019 sur les déchets sauvages a été publiée, la médiatisation était évoquée. Sur leurs impressions, les répondants affirmaient majoritairement que c'est un phénomène ancien (>10 ans), qu’il était constant ou en voie d’aggravation, ce ressenti était partagé sur tous types de territoire (touristique, rural, urbain…). Cette étude, reprenant un article de Déchets Infos en 2016, affirmait que le bruit médiatique sur les déchets sauvages augmentait depuis 2009 notamment. Les presses locales, régionales, nationales, les réseaux sociaux ont mis en lumière ce phénomène. Peut-être que la sensibilité environnementale grandissante des habitants de l’hexagone participe à cette mise à l’agenda politique du problème alors que les dégâts environnementaux étaient probablement plus élevés avant les années 2000. Aussi, les actions de résorption des décharges sauvages ou bruts comme actions de lutte contre les déchets sauvages étaient l’apanage des collectivités d’alors. Aujourd’hui, il y a une réappropriation tous azimuts de la part des citoyens qui s’organisent en collectif pour apporter leur pierre à l’édifice, pas tant sur la résorption des décharges illégales mais sur le ramassage de déchets diffus qui souillent leur environnement.

La prévention sur le devant de la scène

Ce guide issu entre autres des travaux de l'Ademe en 2019 se scinde en trois parties principales :

  • La première rappelle les notions fondamentales sur les déchets et les déchets sauvages ;
  • La seconde partie met en lumière des outils, des expériences, etc. pour comprendre et prévenir les déchets sauvages.
  • Enfin, la troisième partie insiste sur les sanctions et contrôles.

Ce guide semble s’inspirer du guide que j’avais co-réalisé en 2018 pour Zéro Déchet Touraine et Zero Waste France, il reprend le terme « comprendre », il contient un volet prévention, un autre répressif et fait la part belle aux retours d’expériences (ZD Touraine & ZW France, 2018). Ou bien c’est nous qui avions bien anticipé la mission qui serait confiée au groupe de travail sur la prévention des déchets via la mise en œuvre de la feuille de route économie circulaire.

Une boîte à outils pour les collectivités



Le propos liminaire du Ministère pour évoquer cette publication fait ressortir quatre pistes pour prévenir les déchets sauvages, ces pistes reprennent les moyens de lutte contre les déchets sauvages volontaires proposés par Denis BLOT (maître de conférence en sociologie à l’université Jules VERNES de Picardie) :

  • Faire en sorte que les lieux soient propres, naturels et/ou qu’ils paraissent habités, pour qu’ils deviennent « précieux » aux yeux de tous, et qu'il s'y exerce un "contrôle social".
  • Travailler sur la valeur des déchets, en rétablissant la consigne ou en favorisant le réemploi par exemple, afin que les déchets ne soient plus simplement des encombrants.
  • Faciliter l’accès aux déchèteries.
  • Informer sur l’itinérance des déchets : les lâchers de ballons par exemple polluent les océans et les mégots jetés dans la rue, quant à eux, terminent leur course dans les égouts et finissent in fine en mer.

La première piste reprend la théorie de la vitre brisée 8 de James Q.WILSON, théorie avançant que la détérioration de l’espace public engendre une détérioration grandissante si rien n’est fait.
La seconde piste vise à changer la représentation du déchet auprès des consommateurs. Un programme de recherche de 2013, financé notamment par l’Ademe faisait état ainsi des représentations des déchets pour les citoyens : « Le regard porté sur le déchet est avant tout négatif car considéré comme dégoutant, sale,  encombrant,  contraignant… » (Gombert-Courvoisier et al. 2013).
La troisième piste était déjà évoquée dans les années 1980, à savoir faciliter l’accès aux déchèteries, cela concerne plutôt les professionnels dans ce guide.
La dernière piste insiste sur la nécessaire sensibilisation de chacun pour nous faire conscientiser les conséquences intervenir loin du geste d’abandon. J’y vois un écueil pour les exemples cités ici (lâcher de ballons, et mégots jetés, finissant loin du lieu d’abandon). Ici, intervient à mon sens la théorie de la motivation à la protection pour évaluer l’efficacité faible d’un tel choix (bien que la sensibilisation soit nécessaire pour modifier des croyances 9 par exemple). Voici comment un rapport de recherche de l’Ademe décrit cette théorie : "Selon ce modèle, une personne sera motivée à adopter un nouveau comportement si seulement elle s'estime exposée au risque et si les bénéfices à attendre du changement de comportement dépassent les difficultés qu'il engendrera (risque perçu et degré de sévérité du risque). [...] Nous pouvons rapprocher cette théorie de la notion de dilemme quotidien de bénéfice-risque." (Boulbry et al. 2018). Ainsi, une personne abandonnant son mégot dans un avaloir à Tours peut-elle s’estimer exposée au risque de pollution de la Loire en voyant une communication de type « ici commence la Loire » ? le bénéfice de l’abandon rapide d’un petit déchet (mégot) est-il plus important que le futur risque d’exposition hypothétique 10 (baignade, chaîne alimentaire…) à la pollution du fleuve ? je pourrais mobiliser ici la notion de dilemme sociale qui renvoie quant à elle, en psychologie sociale, au choix entre bénéfice personnel et bénéfice collectif, et faire le parallèle avec le modèle du « piège social » de Platt. « Selon ce modèle, la plupart des situations environnementales offrent des choix comportementaux caractérisés par une récompense à court terme assortie d’une perte à long terme ; Le piège social met l’accent sur la dimension temporelle » (ibid Moser, 2009). Cette théorie se rapproche du biais (cognitif) de temps présent, qui pour certains révèle que nous préférons généralement avoir un avantage modéré tout de suite plutôt qu'un avantage plus grand dans le futur. Ici en l’occurrence, l’avantage immédiat est de se débarrasser du mégot plutôt que de le garder (éventuellement en se salissant, en se brûlant) et bien le jeter pour une valorisation sociale hypothétique future.


Photo Grenoble Alpes Métropole

L’exemple ci-dessus est améliorable. L’inscription « ici commence la mer » pour une ville de l’intérieur des terres ne me semble pas des plus appropriés au regard de mes lectures en psychologie environnementale. Il me semblerait plus judicieux pour Grenoble d’écrire « Ici commence l’Isère 11 » pour mobiliser un marqueur d’identité probablement fort localement contrairement à « la mer », et faire appel à l’espace vécu, au sentiment d’appartenance, d’attachement au lieu pour contribuer à augmenter la responsabilité individuelle vis-à-vis de l’environnement. Dans le sentiment d'appartenance à un lieu, la France arrive en tête devant la commune/le quartier et la Région, cette dernière est la seule qui gagne du terrain (Crédoc, 2018). Ainsi, des motivations identitaires territoriales pourraient être déclenchées, réveillées, pour respecter ce cours d’eau et continuer à le préserver. Pourtant un rapport parlementaire recommande de « Multiplier les nudges “ici commence la mer“ aux abord des avaloirs… » pour éduquer, sensibiliser, impliquer les citoyens (OPECST, 2020).

Aussi, le message « ne rien jeter » n’est pas le meilleur. Il a été démontré scientifiquement qu’en matière de prévention de l’abandon de déchets, les injonctions autoritaires ou culpabilisantes sont les moins efficientes en termes de communication auprès du grand public (Hansmann et Steimer, 2016). Par ailleurs, des sociologues ont montré qu’une pancarte « ne jetez rien par terre » [...] n’a pas d’impact persuasif et incite à ne pas respecter la norme. Mieux vaut utiliser un message moins fort « gardez la pelouse propre ne dépend que de vous ».

Nul doute que cette boîte à outils ravira certains, mais les plus avancés ne seront peut-être pas aidés. Celle-ci fait l’objet de quelques imprécisions qui pourraient amoindrir son efficacité au regard de certains études scientifiques sur la psychologie sociale et la communication.


Le rapport des citoyens aux déchets sauvages

Ainsi, la partie du guide concernant la prévention présente un « baromètre citoyen » réalisé par l’association Gestes Propres. Ce baromètre fait ressortir l’impact des déchets sauvages sur le milieu de vie de chacun (plage, montagne, mer, zone urbaine ou rurale). Ainsi, 69 % des répondants déclarent avoir vu quelqu’un jeter un déchet au sol dans la semaine. 90 % se sentent concernés par le sujet, et les qualificatifs pour nommer les déchets sauvages sont plutôt péjoratifs « inadmissibles » pour 98 %, « polluants » et « nuisibles » pour 95 %… Le caractère inadmissible avait reculé entre 2006 et 2015 comme nous le montrions dans l’introduction du dossier réalisé par Zéro Déchet Touraine et Zero Waste France en 2018. A en juger par ces hauts pourcentages et cette perception très négative, il est probable que des politiques de lutte contre les déchets sauvages soient très consensuels à l’instar des politiques de réduction des déchets 12 (Ademe, Ifop, 2016). A ce sujet, le Maire de Cannes (ville citée dans ce guide), élu en 2014 avait fait de la lutte contre l’incivisme l’axe principal de son mandat. En 2020, cette politique semble avoir été récompensée, il a été réélu au 1er tour avec 88 % des suffrages. En revanche, les Maires ont changé en 2020 pour les deux autres villes citées dans ce guide, Metz et Bordeaux. Evidemment, les électeurs ne jugent probablement pas leur Maire à l'aune d'un seul critère.

Ce baromètre évoque enfin les conséquences, les responsables et les acteurs à mobiliser pour y faire face.
Les conséquences qui ressortent sont celles sur la biodiversité (1ère citée à 87 %), puis sur la santé (2e citée à 62 %). Ces conséquences sur soi (sur la santé de l’Homme) et sur autrui (d’autres espèces vivantes) sont plus citées qu’en 2018.
Pour 87 % des répondants, les citoyens sont les premiers responsables de ces déchets sauvages, 5 points de pourcentage devant les entreprises (82 %), les collectivités sont citées par 62 %.
Les Français estiment que tous les acteurs doivent se mobiliser : citoyens (88%), entreprises industrielles (88%), pouvoirs publics (87%), collectivités locales (87%), associations environnementales et fondations (86%).


Le regard d'experts sur les déchets sauvages

Après ce baromètre, nous sont présentés des « regards croisés d’experts », dont Denis BLOT donc, puis Françoise BERNARD 13, et Régis OLAGNE 14. J'ai interrogé le Ministère de la Transition Ecologique et l'association Gestes Propres pour savoir qui avait nommé ces experts et comment, je n'ai pas eu de retour.
Denis BLOT résume les raisons permettant de comprendre l’abandon de déchets volontaire ou involontaire, et met en lumière les moyens de lutte contre cela. François BERNARD évoque la communication engageante, elle la définit, et présente des exemples attestant de son efficacité supérieure à la communication persuasive. Néanmoins, aucun de ces exemples n’est lié aux déchets sauvages, pourtant le sujet du guide. Troisième expert présenté, Regis OLAGNE, il constate que l’envie d’agir pour l’environnement ne mène pas forcément à l’actions, puis définit le nudge et sa provenance (l’économie comportementale, qu’il définit après). Il explique que « La finalité du nudge est de favoriser « les bons comportements », tout en respectant la liberté individuelle de chacun. » M.OLAGNE liste les six critères pour utiliser la technique du nudge, et finit par vanter ses mérites en le qualifiant d’efficace et de peu coûteux. Le propos est exemplifié avec des exemples de nudge mis en place à Lille, à voir ici notamment. Ces nudges en faveur de la propreté dans la préfecture du Nord font appel à la ludicité (panier de basket, marelle), à la saillance physique via la couleur (traces de pas colorés dans un décor sombre) ou encore au rappel à la loi (montant de l’amende). Rien de bien nouveau comme outil en somme (opinion).

Nudge à Copenhague (source : arte tv)

 Arrêtons-nous un instant sur le nudge. Cette « technique » relève du courant économique libéral en évitant coûte que coûte une régulation des mauvais comportements via la sanction par exemple. C’est une incitation. Jusque-là rien d’anormal, l’incitation est plus appréciée que la sanction, Metz Métropole en fait le constat dans ce guide sur la politique de propreté « Sensibiliser avant de sanctionner pour plus de pédagogie ». G.MOSER écrivait dans son ouvrage de 2009, qu'il fallait mieux "encourager matériellement les actions en faveur du bien public davantage que punir tout comportement égoïste." M.DUPRE (chercheur) a dit peu ou prou la même chose sur les politiques de gestion des déchets, "Il apparaît que les récompenses sont bien percues par le public et politiquement plus acceptables que les sanctions (DEFRA,2007)" (DUPRE, 2014).

Certains (Bergeron et al., 2020) disent que les nudges pâtissent d’un manque de délibération et de démocratie. Le débat contradictoire n’est pas présent entre le « nudgeur » et le « nudgé ». Pour certains, on ne connaît pas non plus leurs effets sur les comportements sur le long terme au-delà de quelques semaines après leur mise en place (centre d’analyse stratégique, 2016), pourtant plus récemment un rapport de recherche publié par l’Ademe affirmait « Les expériences actuellement menées sur les nudges concluent majoritairement à des changements de comportements durables, pourvu que certaines conditions soient respectées. Il est en effet essentiel que la personne se sente libre d'adhérer aux comportements sollicités. » (ibid. Boulbry et al. 2018). Aussi le nudge cherche simplement à obtenir le « bon comportement » d’une personne, en jouant sur ce que l’économiste et psychologue D. KANHEMAN (Prix Nobel 2002) appelle le « système 1 » de nos décisions : inconscientes, automatiques, rapides. Il n’y a pas de conscientisation quant à l’enjeu de la propreté pour l’individu et la société (enjeux économiques, environnementaux, sanitaires). Ce risque peut être contenu en explicitant la finalité du nudge via une information ou une sensibilisation par exemple. Les laudateurs du nudge précisent souvent, comme dans ce guide, que celui-ci n’est pas la panacée, la sensibilisation, l’incitation économique, la loi sont d’autres outils à utiliser.

Enfin, Edwige Blanc de Della Vita 15 présente pour Gestes Propres une synthèse d’études qualitatives sur un petit groupe de consommateur scindé en deux groupes, les jeunes (18-25ans) et les moins jeunes de plus de 25 ans. Les perceptions des personnes interrogées font ressortir une perception spontanée négative des déchets « sale », « anxiogènes », « 7e continent », ce qui n’est pas nouveau. Voici ce que disait une étude de 2013, "Le regard porté sur le déchet est avant tout négatif car considéré comme dégoutant, sale, encombrant,  contraignant,  et  plus  problématique  pour  la  collectivité  que pour soi-même." (Ademe & Medde, 2013). Cette synthèse d’études qualitatives finit par montrer les solutions mises en avant par les « jeunes » et « moins jeunes » pour lutter contre les déchets sauvages. Ainsi, ressortent l’information, l’incitation, l’émulation mais également l’éducation des enfants et adultes à la propreté, la multiplication du nombre de poubelles. C’est une des recommandations du rapport parlementaire 2020 de l’OPECST également, qui préconise l’éducation, l’éveil des consciences sur la pollution plastique via le ramassage ludique et instructif des plastiques. Ce rapport recommande également « Intégrer dans toutes les formations supérieures un module sur les matières plastiques et la pollution qu’elles peuvent engendrer ». Cette recommandation a peu de probabilité d’être appliquée rapidement. Le collectif d’étudiants pour un réveil écologique a montré récemment que seulement 15 % des établissements 16 ont déclaré vouloir informer 100 % de leurs étudiants (d’école de commerce/d’ingénieurs et d’universités) aux enjeux de transition écologique (Pour un réveil écologique, 2021).


Les conseils sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire

La partie suivante, fondée sur les travaux de différents acteurs (Ademe, Gestes Propres, Zero Waste France, Zéro Déchet Touraine, des experts, des collectivités…), fait état de ce qu’il y « à faire » et « à éviter » pour prévenir les déchets sauvages. Cette partie est présentée sous forme d’un tableau divisé en cinq catégories :

  • Aménager ;
  • Mobiliers urbains / infrastructures
  • Collaborer ;
  • Sensibiliser / communiquer
  • Déchets / déchèterie
Extrait de la partie du guide "à faire" / "à éviter"

Ce tableau est une liste dans lesquelles les collectivités peuvent piocher, selon moi, elle n’apporte pas beaucoup de nouveautés dans les solutions apportées aux collectivités. Peut-être aussi parce que beaucoup d’actions existent déjà. Les 24 fiches existantes en annexe font l’objet de plus de détails, et seront probablement jugées plus concrètes par une collectivité (opinion). Elles sont suivies d’exemples d’actions originales réalisées à l’étranger. J’ai noté trois éléments qui ont retenu mon attention parmi ce tableau :

  • Ce conseil : « Éviter les points d’apport volontaires (PAV) dans les zones rurales. » qui me paraît difficilement applicable au su des coûts de collecte en porte-à-porte (l’alternative aux PAV) dans les territoires ruraux. Ce conseil fait fi d’autres éléments de décision en matière de déchets rendant son application très hypothétique.
  • « Le « retour à l’envoyeur » est une solution illicite, bien qu’efficace ». C’est clairement un rappel à la loi de l’Etat faisant allusion je crois au Maire de Laigneville qui a semble-t-il initié cette méthode. L'édile se rend fautif en faisant ce qu'il dénonce.
  • « Choisir un ton humoristique plutôt qu’autoritaire ou donneur de leçons. »  Ce conseil ne s’accompagne pas de la vigilance écrite dans le dossier de ZW France. En effet, une étude de 2017 (Brelet et al., 2017) conseille les collectivités pour l’utilisation des photographies pour la communication sur le climat en disant de ne pas : « forcer sur le trait d’humour ni l’aspect “décalé ». Est-ce valable pour les déchets ? je le pense.

Enfin, la partie prévention se finit par l’explication de ce qu’est un plan de propreté, comment le mettre en œuvre, comment définir des objectifs et une stratégie. Cette partie finit par un focus de trois pages sur une méthodologie particulière, élaborée par l’Association des Ville pour la Propreté Urbaine (AVPU) 17 (principe de précaution) dont la pollution diffuse est susceptible de constituer une menace pour les écosystèmes et la santé humaine (Rapport OPECST, 2020). De son côté, la Région Île de France a innové et mis en place depuis 2016 un fonds propreté pour les collectivités, associations, aménageurs pour prévenir et réparer les dégâts des dépôts sauvages. Cela alors même qu’elle n’a pas de compétence propreté urbaine, qui relève de l’échelon communal ou intercommunal en cas de transfert de compétences. Elle est la seule Région à avoir mis en œuvre ce type de dispositif jusqu’alors selon mes recherches et selon le service économie circulaire de la Région Île de France, qui a répondu à mes questions. Plus de 70 projets ont été financés entre 2016 et fin 2018. Rien n’est mentionné sur l’efficacité de ce fonds sur la propreté. La Région n’a pas pu jusqu’alors faire le lien entre le financement de ces projets et la baisse des déchets sauvages, mais selon le service économie circulaire « Ce ne sont donc que des remontées ponctuelles, mais les collectivités notent généralement une amélioration de leur situation suite aux actions financées par le fond propreté. »

Post-scriptum : Ni le Ministère de la Transition Ecologique ni l'association Gestes Propres n'ont répondu à mes questions.


Sources :
Ademe & ecogeos, 2019. Caractérisation de la problématique des déchets sauvages. Rapport. 84 pages.

Ademe/ifop, 2016. Enquête sur la sensibilité des Français à la prévention des déchets.

BARLES S. 2005. L'invention des déchets urbains : France 1790-1970. Editions Champ Vallons, 297p.

BERGERON H. et al. 2020. Le biais comportementaliste. Editions Presses de Sciences Po. 120p.

BERTOLINI G., 1978. Rebuts ou ressources ? la socio-économie du déchet. Editions Entente, 152p.

BRELET, M., NOVEL A. S., OLAGNE, R., DUPRÉ, M., MARTIN, V., DERKENNE, C., CAZANAVE, C., MILLET, A. (2017). Des images et des actes : quels visuels pour parler du climat ?

BOULBRY Gaëlle, DUPRE Mickaël, FERREIRA Émilie, JAHNICH Mathieu, RAMIREZ Valeria, COCO Cosme. 2018. LEPDIR-GAGA. L’étude des pratiques, discours et représentations relatifs au gaspillage et au gâchis, rapport de recherche. 50 pages.

CENTRE D’ANALYSE STRATEGIQUE, 2016. « Nudges verts » : de nouvelles incitations pour des comportements écologiques. 12p.

Crédoc, 2018. Enquête conditions de vie et aspirations.

DE SILGUY C. 1989. La saga des ordures. Editions De l'Instant, 191p.

DRON D. 1997. Déchets : coopérer pour prévenir. 258p.

DUPRE, 2014. Revue de littérature sur les techniques d’influence et de communication appliquées à la gestion des déchets.

Eco-emballage, 2017. Vacances Propres devient Gestes Propres.

GIRANDOLA F., 2003. Psychologie de la persuasion et de l’engagement. Presses universitaires de France, 402p

Gestes propres, 2019. Rapport d’activité 2019.

GONTARD, 2020. Plastique le grand emballement. Editions stock, 265p.

Hansmann, R. & Steimer, N. (2016). A field experiment on behavioural effects of humorous, environmentally oriented and authoritarian posters against littering. Journal of Environmental Research, Engineering and Management, 72(1), 35-44.

Ministère de la Transition Ecologique, 2020. Guide relatif à la lutte contre les abandons.

Ministère de la Transition Ecologique, 2020. Quel potentiel 3R d’ici 2025 ? (réduction, réemploi, recyclage) pour les emballages plastiques.

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MOSER G. 2009. La psychologie environnementale. Editions De Boeck supérieur, 281p.

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Pour un réveil écologique, 2021. L’écologie aux rattrapages.

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Sandrine Gombert-Courvoisier, Elsa Causse, Francis Ribeyre, Marie-Line Felonneau, Aurélie Cari-mentrand. Projet REFIOM : Rôle de l’Ecologie familiale dans la réduction des Impacts des Ordures Ménagères. 2013. halshs-01005177

Zéro Déchet Touraine & Zero Waste France, 2018. Les dépôts sauvages : comprendre et lutter contre le phénomène.

  1. K.D. Cox et al., « Human consumption of Microplastics », Environ. Sci. Technol., 2019[]
  2. Le gouvernement du Président Macron a proposé en 2020 une politique ciblée sur un territoire particulier (la plage) et contre des déchets d’une seule matière (le plastique) avec la charte d’engagement pour des plages sans déchet plastique.[]
  3. L’Ademe peut agir sur le traitement d’une décharge illégale si aucun responsable n’est identifié ou solvable. L’Ademe intervient au titre de l’article 22.3 de la loi n° 75-663 du 15 juillet 1975[]
  4. Ancêtre de l’Ademe, qui elle a été créée en 1991 via la loi du 19 décembre 1990[]
  5. Les décharges brutes municipales sont définies dans la circulaire n°87-63 du 26 juin 1987 comme « des décharges qui font l'objet d'apports réguliers d'ordures ménagères par des communes qui les exploitent sans autorisation préfectorale. »[]
  6. L’invention des déchets urbains.[]
  7. Actuelle ministre de la culture du gouvernement Castex[]
  8. Aussi nommé théorie du carreau cassée[]
  9. Ici, une croyance pourrait être que l’abandon du mégot est sans conséquence, qu’il sera collecté après ou qu’il est biodégradable[]
  10. Un risque peu clair pour l’individu, éloigné du geste d’abandon, aux conséquences perçues comme incertaines par l’auteur du délit (manque de connaissances, pas informé des dégâts).[]
  11. Cours d’eau traversant Grenoble.[]
  12. "La société produit trop de déchets pour 96 % des français"[]
  13. Professeure des universités – Ecole de journalisme et de communication d'Aix Marseille / Institut Méditerranéen des Sciences de l'Information et de la Communication (IMSIC AMU-UTLN[]
  14. De BVA Earth, qui se présente sous le nom de BVA Group comme « un groupe d’études et de conseil, expert en sciences comportementales. » sur son site Internet[]
  15. Je n’ai pas trouvé d’informations sur l’activité précise de cette société commerciale[]
  16. L’échantillon des répondants est faible, cette donnée est à prendre avec des précautions[]
  17. Créée en 2010, la méthode des Indicateurs Objectifs de Propreté (IOP). Cette partie détaille les intérêts de cette méthode pour les collectivités (objectivité, comparaison…), et comment la mettre en œuvre. Les collectivités intéressées pourront aller voir les quatre plans de propreté mis en exemple à la fin du guide, celui de Metz, de Cannes, de Bordeaux et de la Région Ile de France. Ce ne sont donc que des exemples de territoires urbains, densément peuplés qui ne correspond pas nécessaire à toutes les réalités, notamment plus rurales. Ces conseils et exemples sont exempts de priorisation. Au regard des dommages environnementaux, il aurait pu être judicieux de conseiller d’axer la prévention des déchets sur les déchets dangereux par exemple ou les macroplastiques ((Plastiques supérieurs à 5 mm.[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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