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La prévention des déchets : la priorité réglementaire mais pas budgétaire.

Par MESLARD-HAYOT Hugo le 11/12/2021
1ère Mise à jour (MAJ) le 13/12/2021
2ème MAJ le 13/03/2022
3ème MAJ le 07/05/2023
4ème MAJ le
Dernière MAJ le
La hiérarchie européenne des modes de traitement des déchets est un des principes juridiques qui doit guider l’action publique depuis plusieurs années. Pourtant, bien que le sujet de la prévention des déchets soit reconnu comme prioritaire, le financement ne l’est pas et de loin, et depuis longtemps, et à tous les niveaux (nationaux, locaux, privés).

1975-2004 Un mode de traitement inscrit dans la loi mais très peu dans l'action politique

La prévention a été mentionnée pour la première fois législativement dans la première grande loi déchets d’après-guerre, la loi du 15 juillet 1975. Ce concept a été détaillé dans la loi du 13 juillet 1992. Précédemment, le 18 mars 1991 la directive européenne 91/56/CEE a fait de la promotion de la prévention une priorité pour les États membres. Enfin, la directive européenne de novembre 2008 a porté la prévention au sommet de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. La suite démontre que cette législation n’a jamais été respectée politiquement. Malgré ce renforcement législatif, les extraits publiés chronologiquement ci-après mettent en avant un sous-investissement chronique des finances publiques en matière de prévention.

Voici la première citation : "Il faut bien admettre que les mesures de réduction des déchets à la source sont quasi inexistantes. Certes des textes de loi y font parfois références." (OPECST, 1991). Jusqu’ici rien d’étonnant puisque la prévention bien que citée dans la première grande loi déchets de 1975 n’est pas affichée comme une priorité politique.

En 1995 la loi dite Barnier (ex candidat arrivé 3e la primaire LR 1 ) fait entrer au sein de notre droit national (code de l’environnement) « le principe d’action préventive et de correction, à la source, des atteintes à l’environnement ». Ce principe doit désormais servir de guide, pour les déchets par exemple, mais aussi pour la biodiversité. 2

Dans un rapport d’information sur les déchets ménagers en 1997, des propos rapportés de Jacques VERNIER, actuel Président de la commission interfilières REP (CIFREP), étaient écrits tels quels : « il fallait donner la priorité à la politique de prévention. Il est nécessaire, en effet, que notre pays améliore ses performances pour réduire le volume des déchets à la source » (P70) (Assemblée Nationale, 1997).

Dans un rapport de plus de 800 pages de 2003 du Commissariat général du plan (CGP) évaluant la politique du service public des déchets ménagers, il est écrit ceci sur la prévention dans l’avant-propos : « face à l’échec de la réduction des déchets à la source, les pouvoirs publics sont confrontés à des nouveaux défis. » Un peu plus loin ce rapport enfonce le clou (p281), « cette orientation est reconnue par tous comme particulièrement judicieuse mais malheureusement 10 années après, la moins bien appliquée des orientations définies par la loi (de 1992) ».

Un rapport ministériel confirme tout cela un an après « "La prévention est couramment considérée comme un des principaux échecs de la loi de 1992. Les données disponibles montrent une hausse continue de la production de déchets, même si cette augmentation s’est atténuée au fil du temps." (MEDD, 2004). Ce rapport contient cette autre analyse "Les actions lancées depuis la loi de 1992 dans l’optique de promouvoir la prévention n’ont pas eu des résultats à la hauteur des enjeux, même si elles ont permis de réels progrès dans certains secteurs ciblés, comme celui des déchets industriels."

L'Ademe disait en 2014 avoir soutenu financièrement et techniquement la gestion de proximité des biodéchets depuis les années 1990 (Ademe, 2014). Mais le coup d'accélérateur national institutionnel a démarré notamment en 2004 avec la publication du premier plan national volontaire de prévention des déchets et le lancement de l’impression d’un million d’autocollants stop-pub par le Ministère de l’écologie (Stop pub, 2021). De cette mise en politique de la prévention, suivra en 2006 le premier plan national de soutien au compostage domestique. Le constat famélique pour 1975-2004 est là, mais il n’a été que très peu suivis d’effets politiquement.

2004 à nos jours : un renforcement législatif certain, un financement toujours maigre et peu transparent

La prévention chez les collectivités locales
On pourrait appeler la prévention, Mme 1 %. Explications.

Plus de dix ans après celui du Commissariat du plan, un autre gros rapport interministériel plus récent, daté de 2014 évalua les politiques publiques des déchets des collectivités territoriales (+ de 500p.). Voilà le constat fait par les rapporteurs à partir des données du référentiel des coûts de l’Ademe (édition 2011 & 2013) : « entre 0 % et 1 % de la dépense est consacré à la prévention » (p222).» 3.

Ce "1 %" est repris dans un autre rapport de 2018 publié par l'Ademe, et indique "pourtant, en matière de politique déchets, la prévention est l'étape prioritaire" (P51) (Ademe, Atemis et al., 2018).

Près de dix ans après, presque rien n’a changé sur la part des dépenses de prévention, je vous laisse en juger par ce graphique ci-dessous tiré du dernier référentiel national des coûts du service public des déchets publié par l’Ademe.

Référentiel national des coûts de l'Ademe - données 2018

Dans un rapport non institutionnel publié en juillet 2021, Terra Nova et la banque postale indiquent pour les dépenses des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en matière de déchets : "La collecte représente 57 % des dépenses et le traitement les 43 % restants, les sommes dévolues à la prévention sont minimes. » (p28) (Terra Nova & banque postale, 2021).

Le financement national de la prévention des déchets fait preuve de moins de transparence.

Le fonds économie circulaire

Pour ce qui est du fonds économie circulaire qui finance la politique déchets nationale, contact a été pris avec l’Ademe. Pour rappel, voici ce qui est écrit à l'article L541-1 du code de l'environnement :

"Les soutiens et les aides publiques respectent la hiérarchie des modes de traitement des déchets définie au II du présent article"

Notre interlocuteur commence l’entretien en nous confiant « c’est bien la prévention faut en faire plus ». Il nous explique ensuite que les données sont là pour ce fonds : « On fait des bilans par dispositifs d’aides, donc on sait dire ce qu’on a mis sur la tarification incitative, les CSR, les centres de triça me paraîtrait évident qu’on ait ça […] ça serait intéressant de prendre l’habitude de l’afficher ». Il nous a redirigé vers un autre ademien, à l'heure de la publication il n'y a pas eu de retour après plus d'un mois d'échange avec le service presse de l'Ademe. La transparence des fonds publics est cardinale, l'Ademe et le Ministère de la transition écologique manquent à ce devoir. Y-aurait-il un problème à communiquer sur ce fonds ? Notre interlocuteur poursuit « On a aucune aide sur le stockage […] sur la prévention c’est la tarification incitative, on ne fait plus les programmes locaux de prévention ». Considérée les aides sur la tarification incitative comme une aide pour réduire les déchet est sujet à caution, nous y reviendrons plus loin. Aussi, généralement, pour tout type d’aide, quand ça devient obligatoire l’Ademe arrête les financements.

Notre interlocuteur poursuit : « Pour dépenser des millions en prévention, il n’y a pas les investissements en face de la part des collectivités et industriels. On a largement réussi à financer en finançant des postes de techniciens, ambassadeurs de prévention. »  Pourtant quelques grands projets de réemploi peuvent atteindre de coquettes sommes, le smicval market du syndicat éponyme a coûte près de 1,4 millions d’euros par exemple.

Malgré l'opacité de ce fonds économie circulaire, d'après les calculs faits à partir des aides accordées via le plan france relance et les programmes d'investissements avenir, il apparaît clairement que la hiérarchie des modes de traitement n'est pas respectée par les aides publiques nationales. Le recyclage est financé massivement, devant la valorisation énergétique. Le reste des modes de traitement récupère beaucoup moins d'aides 4. Voilà ce qui devrait être la réalité du financement de la hiérarchie des modes de traitement :

L'échelle de Lansink n'est pas respectée au niveau des aides nationales (cc MARDON C.)

Notre interlocuteur convient également de la nécessité d’accroître la transparence des fonds publics régionaux dédiés aux déchets car ces collectivités deviennent des financeurs grandissants sur cette thématique. 5

Enfin, en matière de financement privée de la prévention des déchets, la transparence est peu au rendez-vous également.

Le financement de la prévention chez les éco-organismes, focus sur Citeo

Pour ce qui est de Citeo, cette société à but non lucratif a dédié le strict minimum de son budget aux actions d’écoconception entre 2017 et 2020. Dans son communiqué de presse du 8 septembre 2017, Citeo disait entre autres vouloir développer l’écoconception à hauteur de 40 M d’euros sur 5 ans soit 8 millions par an (un chiffre passé à 35 millions dans son rapport annuel 2017). C’est un tout petit peu plus de 1 % de son budget de l’époque dédié à l’écoconception. Contacté, Ce chiffre m’a été confirmé par Citeo.

Pourtant, Citeo affirme dans son dernier rapport annuel de 2020 que l’écoconception fait partie de ses chantiers prioritaires. L’éco-organisme indique que cela fait partie d’un de ses 5 objectifs sociaux et environnementaux « réduire l’impact environnemental » via l’écoconception notamment. Citeo finalement ne va pas beaucoup plus loin que l’obligation mentionnée dans son cahier des charges : « Au global, le titulaire consacre au moins 1% du montant des contributions qu'il perçoit aux actions d'accompagnement de ses adhérents à la prévention des déchets d'emballages ménagers, y compris l'éco-conception ». Interrogé, Citeo n’a pas communiqué la part totale de son budget dédiée à la prévention (réemploi, vrac…). Mais Citeo a précisé consacrer 2M d’euros pour le réemploi entre 2018 et 2021 et 500 000 €/an pour la lutte contre les déchets sauvages, « en plus du volet mobilisation contre les déchets abandonnés ». Pour rappel, en 2023 les éco-organismes devront consacrer 2 % de leurs contributions au réemploi et à la réutilisation (art.72 loi AGEC). Le rapport 2020 de l'OPECST "Pollution plastique : une bombe à retardement ?" préconisait "d'augmenter au-delà des 2 %" la part des contributions des éco-organismes dédiés à ce mode de traitement.

Gecom - archives d'Indre-et-Loire, 1990.

Rappelons que c’est l’éco-organisme le plus ancien (bientôt 30 ans) qui perçoit le plus de contributions des metteurs sur le marché, distributeurs de produits d’emballages et papiers. Le montant dépasse 800 millions d’euros désormais, c’est plus que le budget total de l’Ademe. L’éco-organisme doit pourvoir à la prévention des déchets, mais ça n’est pas sa priorité assurément, en tout cas dans les actes.

Tonnage d'emballages mis sur le marché en 2015 (All 4 pack).

D’ailleurs l'efficacité globale de l'écoconception peut être interrogée. Si le poids unitaire de certains emballages a baissé depuis plusieurs années, le poids total des emballages mis sur le marché n’a fait qu’augmenter. La démographie et l’atomisation des cellules familiales françaises expliquent en partie cela avec la hausse des unités vendues. Comparativement aux 10 440 Mt d'emballages mis sur le marché en 1990 selon le GECOM 6, 12,47 millions de tonnes l’ont été en 2015 (dont 5 millions d’emballages ménagers contre 4 855 millions de tonnes en 1997) soit une augmentation de 19 % du poids des emballages ménagers et industriels mis sur le marché entre 1990 et 2015 (All 4 pack, 2018). Dans le même temps la croissance de la population française, de 14 % entre 1990 et 2015 (source Eurostat), a été plus faible que la croissance du poids des emballages mis sur le marché entre 1990 et 2015. Prise isolèment, l’écoconception n’a pas réussi à faire baisser le poids des emballages mis sur le marché. Tout au mieux, cela limite un peu la hausse des tonnages mis en marché.

Mais les choses évoluent lentement, des collectivités bougent, les éco-organismes vont devoir financer plus de prévention avec les fonds réparation et réemploi de la loi AGEC notamment. Dans un magazine spécialisé, le syndicat SMICVAL dit vouloir faire de la prévention « une politique prioritaire ». Le directeur Nicolas SÉNÉCHAU affirme « On est passé de 1 % du budget consacré à la prévention avant 2019, à 5 % aujourd’hui » (technicités, 2021). Interrogé, le Smicval ne voit pas encore d’effets, mais attend des résultats en 2022, 2023. Le syctom 7 également a prévu dans son document d’orientation budgétaire d’augmenter la part de la prévention à 3 % de son budget en 2022 contre 1,4 % en 2020. La métropole de Lyon également souhaite atteindre 5 €/hab 8 pour la prévention des déchets en 2026, et des territoires ruraux ne sont pas en reste (La gazette des communes, 2021). Le syndicat bisontin le Sybert aussi dédie plus qu'un pourcent de son budget à la prévention.

La faiblesse et l'incohérence historique de la politique nationale de soutien à la prévention

Le mot « faiblesse » ici doit s’entendre en pourcentage. Faiblesse également, car la maigreur des soutiens à la prévention des déchets est en inadéquation, en incohérence avec la hiérarchie des modes de traitement des déchets qui lui donne la priorité, en théorie. On peut difficile dire que les conditions technico-économiques soient en sa défaveur. Les solutions privées et publiques se développent sur tout le prisme des catégories de déchets (gaspillage alimentaire, compostage, réduction des emballages : consigne, vrac…, textiles sanitaires, etc). Sans trop se mouiller, on peut dire que le quinquennat actuel aura perpétué cette incohérence, la plupart des fonds ayant été dirigés vers le recyclage des plastiques notamment, pour tenter de respecter l'engagement présidentiel de 100 % de plastique recyclé en 2025.

Un rapport ministériel de 2011 sur la TGAP et les soutiens de l’Ademe notamment montrait que les nouveaux soutiens de l’Ademe (reçus via la hausse de TGAP dès 2009) orientaient la majorité des soutiens vers le recyclage en 2010. Contrairement à 2009, où la prévention dominait encore les soutiens vis-à-vis du recyclage avec un taux de 25 % (passé à 19 % en 2010). Cette bascule pourrait ne jamais avoir été corrigée depuis.

Histogramme sur le financement du fonds déchets par mode de traitement des déchets en 2009 (à gauche) et en 2010 (à droite). Source : MEDDTL, 2011.

.Les engagements en valeur (euros) pour la prévention ont bien augmenté entre 2009 et 2010 mais leur ratio a baissé.

Le financement par mode de traitement en mllions d'euros en 2009 et 2010.

Il est écrit suite à ce graphique « Cette analyse globale met en évidence l’adéquation entre la stratégie de soutiens mise en œuvre par l’ADEME en 2009 et 2010 et la hiérarchie des priorités de la politique déchets issue du Grenelle : priorité à la prévention (y compris à la redevance incitative), puis au recyclage matière et organique. ». Cette analyse est fausse.

La redevance incitative comme la teom incitative ne peut être incluse comme une opération de prévention uniquement. La tarification incitative porte majoritairement sur les ordures ménagères dans la quasi-totalité des cas 9. Les résultats de la mise en place de la tarification incitative indiquent qu’elle crée davantage un transfert de déchets des ordures ménagères vers d’autres flux (emballages, papiers, déchèterie), engendrant un tri plus fort (pas nécessairement de meilleur qualité) plus qu’elle ne fait baisser fortement l’ensemble des déchets ménagers et assimilés produits. C’est ce qui ressort d’un rapport de l’Ademe sur les territoires pionniers et meilleurs urbains en matière de prévention des déchets. Ce rapport indique dans sa conclusion « la tarification incitative ressort clairement comme facteur principal pour réduire les déchets ». Il précise que d’autres facteurs expliquent la baisse des déchets, par exemple un fort portage politique, un territoire rural, une dynamique territoriale ancrée en faveur de la baisse des déchets, la typologie de population, etc. À collectivité semblable, la baisse des OMR et des OMA est conséquente avec la tarification incitative, mais pour les DMA elle est bien plus faible. Le quinzomadaire Déchets infos analyse très bien cela dans son numéro 193, « la tarification incitative fait davantage trier […] Mais elle n’a qu’un effet limité sur les « ratios » totaux de déchets (ceux des DMA) ». Le journaliste O.GUICHARDAZ, y interroge la relation de cause à effet entre la tarification incitative et la baisse des déchets.

Comparatif des baisses d'OMR, d'OMA et de DMA (Source : Ademe)

Une publication de l’Ademe Grand-Est sur un échantillon de cinq collectivités (faible échantillon) montrait qu’une partie des baisses des DMA s’expliquait par une baisse tendancielle, et une autre partie par des gestions inciviques ou détournées des déchets (brûlage, déchets sauvages, tourisme de déchets). Ceci démontre l’effet relatif de la baisse des déchets ménagers et assimilés produits suite à la mise en place d’une tarification incitative. Il y a moins de déchets collectés certes, mais assez peu de déchets produits en moins (ils sont produits mais en partie mal gérés ou détournés. Une analyse de l’effet de la tarification incitative sur la baisse OMA en fonction de son taux d’incitativité 10 pourrait être intéressante, tout en étudiant la hausse ou non de l’incivisme à côté.


Source : Ademe Lorraine

Les faibles financements publics dédiés à la prévention, incluant donc la tarification incitative, ont pourtant un potentiel économique (mais pas que) important, surtout au su du contexte de croissance des coûts perpétuel.

De l'intérêt économique de la prévention

Déjà en 1997, la haute-fonctionnaire Dominique Dron indiquait l'avantage économique à prévenir les déchets en ces termes : "Pour ce qui concerne les déchets ménagers par rapport à un scénario tendanciel, une politique de prévention qui réduirait du quart les productions de déchets ménagers et assimilés en 2010 (de 430 à 320 kg/habitant) diminuerait de plus de la moitié les dépenses correspondantes de gestion des déchets la même année, de 1030 Francs / habitant à 460 Francs par habitant. A fortiori, une solution de logique totalement marchande, ne retenant que les solutions techniquement les plus mûres (surtout l’incinération) sans prévention accroîtrait la production de déchets par habitant d’un quart et leur coût de gestion en 2010 d’un tiers (de 1030Francs / habitant à 1350 Francs par habitant). Malgré les investissements nécessaires au départ, la prévention revient donc moins cher au bilan que le fil de l’eau." (Dron, 1997).

Quelques années après dans le rapport du commissariat au plan de 2003, voici ce qui était écrit « Puisque les coûts augmentent plus vite que les quantités collectées, un euro investi dans la prévention-réduction à la source a potentiellement un meilleur rendement que tout euro investi dans la gestion proprement dite des DMA. Les pouvoirs publics ont, à cet égard, une responsabilité importante, car ils ont favorisé les systèmes d’aides à la collecte et au traitement, au détriment du soutien des efforts de prévention-réduction à la source." Les actes n’ont pas vraiment suivi.

Dans un bilan des premiers plans locaux de prévention des déchets (PLPD) réalisé en 2016 il avait été démontré que la mise en œuvre d’un tel programme était source d’économie pour la collectivité. Ainsi le constat était le suivant, le coût moyen d’un PLP pour une collectivité était égal à moins de 2 €HT/hab/an. Dans le même temps, le coût estimé de gestion de déchets évité grâce à la réduction de 10% des OMA était de 3,6 €HT/ hab/an. Un tel bilan sur les DMA ne semble pas avoir été réalisé. Interrogé sur la couverture des coûts de collecte et traitement par les économies liées à la prévention, notre interlocuteur de l’Ademe explique pour cette étude de 2016 « Les collectivités étudiées à l’époque couvraient leurs dépenses de prévention surtout lorsqu’elles couplaient le plan local de prévention des déchets à la tarification incitative. Pour les autres c’étaient plus compliquées. Par exemple, le compostage domestique c’est très rentable pour l’économie sur le traitement. Il y a des actions très efficaces (benne réemploi en déchèterie) et d’autres moins. Il y a d’autres aspects, le social pour le compostage partagé, et l’amélioration de l’environnement aussi ».

De nos jours il est impossible de corréler la part de la dépense dédiée à la prévention des déchets et une baisse globale des coûts du service public des déchets. En revanche la corrélation coûts et déchets collectés a été confirmée dans le rapport interministériel de 2014. Ce rapport affirme « Le coût complet par habitant est corrélé positivement avec les volumes 11 de déchets collectés pour chacun des quatre principaux flux de déchets. ». La dernière publication sur le référentiel national des coûts (données 2018) va dans le même sens pour les coûts aidés par habitant indiquant « une corrélation logique apparaît entre quantités totales de déchets collectés et coût aidé par habitant. ». Plus vous collectez, plus le coût augmente.

Corrélation coûts des déchets et quantités collectées (Source : Ademe)

Pour ce qui est de l’intérêt détritique, dans le rapport interministériel de 2014, il était écrit ceci sur l’effet détritique de la prévention « il n’est pas possible de distinguer un effet de la dépense de prévention sur la part des ordures ménagères résiduelles dans le total des déchets. ». Avec un si faible financement consacré à la prévention (entre 0 à 1 % à l’époque), ceci peut expliquer cela. Notre interlocuteur de l’Ademe va dans le même sens. Interrogé, sur une possible corrélation entre la part des dépenses de prévention et la baisse des OMR ou DMA, « statistiquement », il ne voit pas de lien.

Selon notre interlocuteur de l’Ademe, l’effet de la tarification incitative est plus marquant sur la baisse des déchets que l’effet dépense de prévention « pour deux collectivités qui ont les mêmes dépenses de prévention, si on ajoute un critère tarification incitative sur l’une (et pas l’autre), elles ont des performances radicalement différentes. Cela sur tout, la baisse des OMR, des DMA ». Ce propos est à nuancer surtout pour la baisse des DMA, comme nous l’avons expliqué plus haut.

La hausse de la TGAP, opportunité ou contrainte ?

Interrogé sur un possible effet ciseau de la TGAP (la hausse des coûts empêcherait les EPCI d’investir plus dans la prévention), notre interlocuteur de l’Ademe fait montre de quelques inquiétudes « Certaines collectivités ne remplacent pas les techniciens déchets [qui partent], elles ne vont pas avoir le mécanisme d’investir dans la prévention pour réduire les tonnages. Sur les ambassadeurs tri/prévention c’est une hécatombe avec l’arrêt de l’aide de Citeo. On a toutes les peines du monde à recréer ces postes. La rentabilité de la prévention va largement s’améliorer avec la hausse de la TGAP mais je n’exclue pas que des élus vont vouloir d’abord se passer des techniciens déchets, au lieu d’investir dans la prévention. » En creux, on voit l’importance du portage politique pour la prévention.

"La rentabilité de la prévention va largement s'améliorer avec la hausse de la TGAP"

Pourtant en 2014, notre interlocuteur fait remarquer que 41 % des collectivités de Lorraine voulaient plus de moyens humains. Elles disposaient de 0,5 ETP/10 000 hab. pour la prévention/communication. Interrogés à l’époque, les sondés déclaraient vouloir 1,5 ETP pour la prévention/communication pour 10 000 habitants, soit trois plus que leurs moyens humains actuels.

Cette enquête sur les moyens humains dédiés au service déchets avertit « Ce n’est pas baisser le personnel qui fait baisser les coûts, pour faire baisser les coûts il faut passer en tarification incitative (avec le personnel nécessaire). » 12 La prévention est plus axée sur de l’action humaine au service du changement comportemental, et la « masse » salariale représente généralement le coût le plus élevé du service public des déchets, donc une potentielle source d’économies importante.

Notre interlocuteur termine sur ce sujet avec une digression sur les biodéchets : « Sur le tri à la source des biodéchets ça serait un vrai écueil que les élus aient un réflexe tri, investissement (méthanisation). Il y a un risque de créer un appel d’air où les restes alimentaires, les déchets verts gérés dans les jardins partent en collecte en remplacement des gestes de prévention et fasse exploser les quantités collectées. »

Le rapport annuel service public des déchets : utile, respecté aléatoirement et complexe à analyser pour le contribuable

Le rapport sur le prix et la qualité du service public de prévention et de gestion des déchets ménagers et assimilés 13 doit être présenté chaque année par le Maire ou le Président de la collectivité ou groupements de collectivité compétent. 14 Il doit être mis à disposition des administrés, au siège de la collectivité et sur le site Internet de celle-ci. Ce rapport doit notamment contenir des indicateurs techniques et financiers. Notre interlocuteur ademien indique que « le but de ces rapports est de pouvoir évaluer sa collectivité. »

L’Ademe avait mis à jour en 2017 son guide méthodologique pour aider les collectivités à rédiger ce rapport conformément à la réglementation. Malgré cela, en 2019, l’association nationale Zero Waste France a pointé du doigt des non conformités réglementaires quant à la publication à temps et en bonne et due forme de ce rapport pour un échantillon de 200 collectivités (plus de 1200 compétentes sur les déchets). C’est un problème pour tout redevable ou contribuable du service public des déchets qui souhaiterait connaître les dépenses du service public, par exemple en cherchant la part des dépenses de sa collectivité pour la prévention, le recyclage, la valorisation énergétique...

Les décheticiens a tenté de comparer la part dépensée par habitants pour la prévention, la tâche s'est avérée ardue voire impossible au vu de la variabilité des modes de présentation du rapport. Selon l’Ademe, ce rapport « est présenté de tellement de manières différentes que c’est quasiment impossible » [de comparer les collectivités entre elles]. Les pratiques comptables des collectivités sont tellement différentes, que cela est de facto pas comparable » (par exemple des collectivités sont assujetties à la TVA, d’autres non). Les territoires similaires apprécient pourtant de pouvoir comparer leurs performances. « Sur les rapports annuels, il y a un vrai problème et pas que pour la prévention. Des collectivités ont des rapports non conformes, non complets et il y a aussi tout un tas de collectivité qui ne le font pas (pas le temps, personne ne le lit, la préfecture ne leur fait pas de rappel…)."

Changer de braquet ?

Vous l’aurez compris je crois, les lois, les déclarations telles que « le meilleur déchet c’est celui qu’on ne produit pas » sont là. Aussi la société a connaissance de sa surproduction de déchets mais les actes politiques ne sont pas à la hauteur de l’urgence, la responsabilité individuelle ne peut être le seul salut. Revenant sur son rapport « transitions 2050 » sur les scénarios de la transformation écologique possibles d’ici 2050 (pour atteindre la neutralité carbone), Mme QUINIOU-RAMUS de l’Ademe déclare « tous les scénarios soulignent […] la nécessité d’agir rapidement et de faire des choix cohérents […] quels que soient ces choix, ils passent par des transformations profondes, dès cette décennie, de nos modes de consommation… ». Tout est là, réduire nos déchets drastiquement maintenant est nécessaire, et par là même réduire notre empreinte carbone et limiter la casse écolonomique et sociale liée aux déchets.

Au moment du bouclage de l'article, ni le Ministère de la transition écologique ni l'Ademe n’avaient répondus à ma question sur la cohérence ou l'incohérence actuelle du financement du fonds économie circulaire avec la hiérarchie des modes de traitement des déchets (Il y aura une mise à jour si c'est le cas par la suite).

Sources :

Ademe, Atemis, Brigitte PASQUELIN, INDDIGO, Karine MERCIER, Alice SARAN. Avril 2018. Étude d’un contrat de performance déchets pour réduire la production des déchets ménagers et d’activités économiques. Rapport. 145 pages.
Ademe Grand-Est, 2018. La tarification incitative sur le territoire lorrain. Pourquoi ? comment ? impacts ? focus sur l’incivisme.
Ademe Lorraine, 2014. Les services publics des déchets – organisation des services.
Ademe, 2014. Evaluation
ADEME, Dominique Traineau, ECOGEOS, Quentin Missir, Marta Matias Mendes, Marine Guyomard, Marius Rondel, Victoria Vancauwenberghe, ZERO WASTE France, Laura Chatel, Pauline Debrabandere. 2019. Territoires pionniers de la prévention des déchets – Synthèse de l’étude. 48 p.
ADEME, Julien RUARO, AWIPLAN, Magali GASS, Frédéric LEBON, Barnabé MARTIN, 2021/07. Référentiel des coûts du service public de gestion des déchets en France métropolitaine données 2018. 164 pages.
Ademe, 2017. Rapport du service public de prévention et gestion des déchets ménagers et assimilés. 88p.
Ademe, 2016. Voyage de presse sur le territoire du Sirdomdi. 32p (p3).
Ademe magazine 151, 2021. Territoires : oser la sobriété.
All 4 pack, 2018. L’emballage en France.
Assemblée Nationale, 1997. Rapport d’information sur les déchets ménagers. 75p.
Assemblée Nationale, 1997. Rapport d’information sur les déchets ménagers. 75p.
Citeo, 2021. Rapport annuel plus on sait mieux on fait – saison 2.
Commissariat général au plan, 2004. Rapport de l’instance d’évaluation de la politique du service public des déchets ménagers et assimilés. 810p.
Commissariat général au plan, 2004. Rapport de l’instance d’évaluation de la politique du service public des déchets ménagers et assimilés. 810p.
Déchets infos N°193, 2020. Dossier tarification incitative.
Dron, 1997. Déchet municipaux : coopérer pour prévenir.
La gazette des communes, 2021. La prévention sur les déchets se trouve une place dans les budgets.
Ministère de l’écologie et du développement durable, 2004. Prévention de la production de déchets.
Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, 2011. Premier bilan de la réforme de la TGAP de 2009 et de la politique de soutien sur les déchets ménagers et
assimilés.
(p38-40).
République française, 2014. Mission d’évaluation de politique publique. La gestion des déchets par les collectivités territoriales.
Stop pub, 2021. Histoire du stop pub en France.
Terra Nova et la banque postale, 2021. La gestion du service des déchets ménagers par les collectivités locales en France : un service en cours de rationalisation pour affronter les défis environnementaux.
Zero Waste France, 2019. Enquête : quelles intercommunalités françaises produisent le moins de déchets ?
Zero Waste France, 2019. Enquête : quelles intercommunalités françaises produisent le moins de déchets ?

  1. Parti politique « Les Républicains ».[]
  2. On applique la méthode ERC par exemple pour les projets ayant un impact sur la biodiversité. Ceux à l’œuvre doivent éviter, réduire, et compenser les impacts environnementaux.[]
  3. j'ai laissé la faut d'orthographe telle qu'elle est dans le texte[]
  4. Cela fera l'objet d'un futur article plus détaillé[]
  5. Le projet de loi 4D voté par les députés le 09/12 prévoit le transfert des fonds économie circulaire et chaleur aux Régions[]
  6. Groupement d’étude pourle conditionnement moderne - cf graphique tiré des archives ci-dessus[]
  7. Ce syndicat francilien est le grand syndicat déchets d’Europe.[]
  8. rien ne permet de dire quel pourcentage sera dédié à la prévention vis-à-vis du budget total.[]
  9. La politique de l’époque avait fixé des objectifs de baisse des ordures ménagères et assimilées (OMA) et non des déchets ménagers et assimilés (DMA). De nos jours, quatre collectivités sont en tarification incitative sur les OMA (OMR + emballages et papiers): CC Flandre Lys (Reomi), CC Val d’Essonne (Reomi), CC Pays du Riolais (rien à voir le dessert, reomi), Syndicat bois de l’Aumône (teomi).[]
  10. « La TEOMi se compose d’une part fixe, calculée en fonction de la valeur locative du local (comme la TEOM « classique ») et d’une part variable, liée à la quantité de déchets produits par l’occupant du local. La part variable doit être comprise entre 10 et 45% du produit total de TEOM incitative. » Source : Ademe.[]
  11. Les graphiques montrent bien des kg/hab en abscisse et non des m3/hab (p201).[]
  12. L’optimisation de la collecte concomitante ou postérieure à la mise en œuvre de la tarification incitative est un facteur de baisse des coûts.[]
  13. Annexe 13, articles D224-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales[]
  14. Il doit être publié au plus tard 9 mois après la fin de l’année précédente.[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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4 comments on “La prévention des déchets : la priorité réglementaire mais pas budgétaire.”

  1. Merci Hugo pour cet article très précis qui remet bien les acteurs et les enjeux à leur place !
    Si le budget de CITEO est de 800 millions d'euros, à combien s'élève celui de l'ADEME ??? Merci ! Bénédicte

    1. Un peu plus de 800 millions d'euros initialement en 2022, mais avec le plan de relance il a dépassé le milliard d'euros sur tous les domaines de l'Ademe (chaleur renouvelable, économie circulaire, hydrogène, air/mobilités, sites pollués et friches...) Si on prend juste le budget économie circulaire, Citeo est bien loin devant. Citeo doit répondre à mes questions sur la prévention dans un prochain article à paraître bientôt.

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