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La REP DEEE : la prévention joue des épaules pour se faire une plus grande place dès 2022. Entretien avec Helen Micheaux.

Dans le cadre du réagrément à venir (2022-2027) pour la filière DEEE, Helen MICHEAUX a accepté de répondre à des questions sur les enjeux de prévention pour cette filière. Son travail de thèse qui est repris dans son livre "Responsabiliser pour transformer : des déchets aux mines urbaines" sert de fil rouge pour cet entretien.

Helen MICHEAUX est Maître de conférences à AgroParisTech, enseignante-chercheuse depuis septembre 2020. Elle enseigne en sciences de gestion dans le département sciences économiques, sociales et de gestion. Elle dispense des cours qui portent sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), le développement durable, l’économie circulaire et les modèles d’affaires innovants associés à l’économie circulaire.

L’intitulé de sa thèse était : « le retour du commun au cœur de l’action collective : le cas de la responsabilité élargie du producteur comme processus de responsabilisation et de corégulation. » Elle peut être lue, parcourue ici.

Photographie d'Helen MICHEAUX

Les décheticiens (LD) : Pouvez-vous vous présenter brièvement ? le lien entre votre travail et les déchets.

Helen MICHEAUX (HM) : Aujourd’hui je ne travaille plus directement sur le principe de responsabilité élargie du producteur (REP), c’est quelque chose que j’enseigne mais je travaille davantage sur le concept d’économie circulaire et la transformation des modèles d’affaires des entreprises pour intégrer l’économie circulaire.

Le lien avec les déchets est quand même présent puisqu’il y a un enjeu de prévenir la production des déchets à travers de nouveaux business model, à travers des stratégies d’allongement de la durée de vie des produits, du réemploi, de la réparation, l’intensification des usages avec l’économie collaborative et l’économie de la fonctionnalité.

L’autre enjeu va être la gestion des déchets et la valorisation à travers le recyclage et la réincorporation de la matière recyclée dans les produits.

Couverture du livre d'Helen MICHEAUX

LD : Dans votre livre de 2019 intitulé « Responsabiliser pour transformer : des déchets aux mines urbaines », vous pointez plusieurs failles de la REP DEEE concernant la prévention depuis qu’elle a été créée 1, quelles sont-elles ?

HM : Il est important de préciser qu’à l’origine lors de la création de la REP DEEE, l’enjeu n’était pas la prévention. L’accent était mis sur la gestion des déchets, la fin de vie, la dépollution et le développement de filière de recyclage. La question de la prévention en France est venue plus tardivement avec les lois grenelle notamment et les conférences environnementales annuelles sur le développement durable qui ont suivi (Wikipédia, 2021). Elle a été de plus en plus intégrée dans ces dispositifs que sont les REP.

Jusqu’à la loi AGEC de 2020, les mesures qui avaient été prises étaient peu incitatives. L’une des mesures était la modulation des écoparticipations, celle-ci peut être modulée en fonction de la disponibilité de pièces détachées pendant 11 ans, ou encore en fonction de la compatibilité des mises à jour logicielles avec le bon fonctionnement du téléphone par exemple. Pour un téléphone, il y a également un critère pénalisant la non standardisation des connectiques dont le chargeur. Le malus s’élève à 100 % de l’écoparticipation mais celle-ci n’est qu’à 2 centimes. Cela donne une écoparticipation totale de 4 cts donc l’effet disuassif est faible. Ce constat se retrouve pour d’autres appareils soumis à la modulation de l’écoparticipation.

Avec la loi AGEC il y a eu un renforcement de ces objectifs de prévention, avant cette loi, il y avait une absence d’objectifs clairs de prévention. Jusque-là, les objectifs portaient sur la gestion des déchets avec des objectifs de collecte, de recyclage, de préparation à la réutilisation mais il n’y avait pas d’objectifs distincts de prévention, ce que la loi AGEC vient modifier.

De même, jusqu’à présent les éco-organismes n’étaient pas sanctionnés pour non atteinte des objectifs. La loi AGEC vient également modifier cela 2.

Une autre limite est le coût de la réparation qui est assez élevé 3.

LD : je vais y revenir juste après j’ai une question là-dessus.

LD : Est-ce que vous pensez que le nouveau cahier des charges 2022-2027 va améliorer la prévention ? aussi dans ce cahier des charges il y a objectifs de réemploi, ça ne me paraît pas valable pour des DEEE non ?

Alors je n’ai pas eu connaissance du nouveau cahier des charges, […]. Mais effectivement, il était prévu d’ajouter des objectifs de réemploi.

LD : Sur les nouvelles écomodulations, il y a 4 critères dans ce nouveau cahier des charges : l’indice de réparabilité ou la disponibilité de pièces détachées, la recyclabilité, la présence de substances dangereuses et l’incorporation de matière recyclée 4.

HM : Ces critères existaient déjà, sauf l’indice de réparabilité qui a été ajouté.

Par rapport à l’objectif de réemploi, j'aimerais apporter une précision. Il existe deux éco-organismes dans la filière DEEE qui sont Ecosystem et Ecologic qui sont en relation depuis longtemps avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ecosystem est en relation avec Envie et Emmaüs, et Ecologic avec le réseau des ressourceries.

Logo de l'éco-organisme "Ecologic"
Logo de l'éco-organisme "Ecosystem"

Dans le cahier des charges précédent, ils avaient l’obligation d’allouer une partie du gisement collecté à ces acteurs pour du réemploi. Donc Ecosystem et Ecologic recensaient déjà la quantité envoyée à ces acteurs pour du réemploi et de la réparation, c’est une donnée qu’ils avaient déjà. La différence à présent est qu’on leur donne un objectif à atteindre. Ils avaient certainement déjà mis en place un indicateur pour suivre ces volumes réemployés, la difficulté est de savoir combien de DEEE ont été jetés, combien ont été réparés par les acteurs de l’ESS.

LD : Parce que l’objectif de réemploi dans le nouveau cahier des charges il est de 2 %, donc ce que vous êtes en train de dire c’est qu’il est peut-être déjà atteint dans les faits ?

HM : Peut-être oui, je ne sais pas. Avant cet objectif n’était pas distinct, les éco-organismes intégraient ça dans l’objectif de valorisation général. Après l’idée sera évidemment de faire évoluer cet objectif et de le rendre plus ambitieux. Mais 2 % de réemploi, effectivement, je ne sais pas quel objectif ils atteignent déjà.

LD : Le cahier des charges ne fait pas mention d’écomodulation concernant les métaux stratégiques qui sont pourtant légion dans les filières électroniques et numériques industrielles ? 5 est-ce un angle mort de la REP ?

HM : Les éco-organismes interviennent sur la question des métaux stratégiques en finançant la recherche sur leur recyclage. Il n’y a actuellement pas de filière viable pour récupérer les métaux stratégiques, donc mettre en place un critère d’écomodulation me paraît compliqué. Il n’y a pas vraiment de solutions à ce jour.

Le bonus est là pour encourager les pionniers qui ont adopté des solutions innovantes à encourager et valoriser. Les malus visent les producteurs à la traîne pour les encourager à changer leurs pratiques.

LD : ça ne pourrait pas être un critère de substitution de certains métaux stratégiques par d’autres ?

HM : Il y a des critères d’interdiction de substances. La difficulté se pose quand il n’y a pas de substitution possible, mais pour certaines substances effectivement c’est possible. Par exemple, on arrive aujourd’hui à faire des batteries avec des métaux moins critiques. Dans l’éolien terrestre, on arrive à fabriquer des équipements moins dépendants de terres rares. Je pense que l’Etat ne veut pas de mesures trop directives. Le fait est que le fabricant ressent bien cette pression sur les métaux stratégiques, et il cherche naturellement à innover avec d’autres manières de faire.

Pour mettre un critère, Il faut plus de connaissances, c’est encore un sujet à défricher. On n’a pas vraiment encore de solution. C’est compliqué de mettre un critère de modulations là-dessus.

Par contre encourager par d’autres moyens, comme augmenter la recherche et l’innovation, oui.

Sur ce point, si vous êtes trop directif, en disant qu’il faut substituer telle matière par une autre, il y a un risque de déplacer le problème en créant une tension sur d’autres matières. Il faut faire attention avec ce type de mesures trop directives.

On peut aussi avoir d’autres réflexions plus larges sur l’ouverture de mines en Europe dont on pourrait contrôler l’exploitation pour une gestion plus durable qui respecterait un certain nombre de critères environnementaux. Il s’agirait de relocaliser l’exploitation minière, je pense que ça ne devrait pas être un sujet totalement tabou. C’est un autre aspect qui participe à la réponse à cette problématique de dépendance sur certains métaux stratégiques.

LD : Le montant prévu de l’enveloppe du fonds réparation a été raboté de moitié « suite à un « arbitrage politique » 6 par rapport au fonds calculé par l’Ademe dans son étude préalable 7. Dans une tribune commune, Amorce, FNE, CLCV, Zéro Waste France, les amis de la terre et FEDELEC ainsi que la commission développement durable du Sénat ont notamment dénoncé cette baisse (Sénat, 2021). Zéro Waste France a invoqué le lobbying d’industriels des DEEE. Selon vous quelles sont les raisons qui expliquent ce recul sur le fonds réparation ? est-ce un arbitrage en faveur de producteurs réticents ?

HM : Le financement est forcément limité car ces fonds sont financés par les écocontributions, donc au final la crainte c’est de répercuter celles-ci sur le prix d’achat et donc sur le consommateur.

LD : ça ne serait pas marginal (quelques centimes) ?

HM : Ça je ne sais pas. Mais je pense que c’est l’argument avancé par les éco-organismes et les producteurs, la crainte c’est de voir augmenter trop fortement les écocontributions.

Il faut revenir sur le chiffre proposé par l’Ademe, les 20 % initialement introduit par la loi était basé sur une étude de l’Ademe faite en 2014 si j’ai bien suivi les choses.

Visuel de campagne de l'association ZW France (cc ZW France)

LD : C’est comme ça que le gouvernement c’est défendu (pour expliquer la baisse du fonds).

HM : L’Ademe avait évalué en 2014 qu’une enveloppe de 70 millions d’euros permettrait de financer la réparation à hauteur de 20 %. L’État est resté là-dessus, mais finalement le dernier calcul de l’Ademe évalue le fonds réparation à 200 millions d’euros 8.

Je n’ai pas assez d’éléments pour donner un avis critique là-dessus, mais je vois la crainte des éco-organismes sur cette hausse des éco-participations.

Il y a aussi une critique sur la progressivité du fonds de la part d’associations et d’ONG. Je pense que là l’argument des éco-organismes c’est qu’il faut du temps pour structurer la filière réparation qui est pour l’instant assez fragile. Ils doivent agréer des réparateurs, etc. Quand il y a quelque chose de complexe à mettre en place cela ne me paraît pas absurde d’avoir une progressivité. Après effectivement réduire le fonds à 20 millions d’euros pour les premières années est un risque d’une perte de sens du dispositif.

Il y a quand même un vrai pas qui est franchi dans le sens où maintenant le dispositif est en place (fonds réparation, fonds réemploi). Il faut espérer qu’il soit renforcé d’agrément en agrément, qu’il soit de plus en plus important et que cette filière de réparation soit de plus en plus structurée et connue des consommateurs. Il y a aussi une éducation du consommateur à faire pour l’encourager à aller vers de la réparation. Ça peut prendre du temps.

LD : Lors de cette consultation pour le projet de d’arrêté pour l’agrément, ZW France a fait une proposition en suggérant « d’ajouter […] un objectif de réduction des mises en marché de produits neufs, au vu de l’impact environnemental et climatique du secteur des produits électriques et électroniques ». Qu’est-ce que vous en dites ? est-ce imaginable ? les producteurs ne vont pas être pas être contents…

HM : Je ne vois pas trop comment on peut fixer un tel objectif et évaluer cela. Une entreprise qui ferait un mauvais résultat une année par rapport à une autre, se verrait récompensée parce qu’elle aurait moins vendu de produit. Je vois l’idée derrière, de produire moins, de vendre moins et de modifier nos modes de consommation pour aller vers une économie de la fonctionnalité par exemple. Encourager la réflexion, l’innovation en ce sens est nécessaire. Il faut chercher à allonger la durée de vie des produits avec la réparation, le réemploi, l’économie de la fonctionnalité et encourager à changer de modèles économiques pour passer d’une logique de volume à une logique de la qualité.

Mais encourager cela à travers des critères de modulations et des objectifs de réduction me paraît difficile, surtout qu’il peut y avoir des effets indirects par ailleurs.

C’est vrai que pour les plastiques à usage unique, il y a des objectifs de réduction mis en place suite à la loi AGEC. Le pendant pour la filière DEEE, je ne vois pas comment ça peut être mis en place et être évalué. J’ai peur qu’il y ait des risques d’effets indirects non anticipés.

LD : Vous évoquez le travail d’Anne-Sophie MEROT sur les REP qui a pointé du doigt l’absence de sanctions graduelles efficaces en cas de non-atteinte des objectifs d’éco-organisme en charge des DEEE déclarant que la sanction est soit trop dissuasive soit trop dommageable pour tout le monde (collectivité, usagers…) avec le retrait de l’agrément. Que pensez-vous du nouveau régime de sanctions introduit dans le code de l’environnement par l’article 61 de la loi AGEC ? est-il plus adapté si vous avez pu le voir ?

Je ne l’ai pas lu en détails, je sais qu’il est prévu des sanctions pour non atteinte des objectifs. Jusqu’à présent les éco-organismes n’étaient pas sanctionnés pour non atteinte de ces objectifs.

LD : Tous les éco-organismes ?

HM : il me semble que non. Au bout de six ans, même s’ils n’ont pas atteint leurs objectifs, ils peuvent toujours être réagréés. 9.

L’idée est d’encourager l’amélioration continue, quand on fixe ces objectifs on ne sait pas si c’est atteignable ou non. Forcément les éco-organismes vont chercher à diminuer les objectifs pour qu’ils soient plus facilement atteignables, et l’État, les associations vont pousser pour qu’ils soient le plus ambitieux possible. C’est une négociation entre parties prenantes.

LD : Ça me fait penser à Eco-emballages (ancêtre de Citeo) qui devait atteindre son objectif en 2012 pour les emballages ménagers recyclés avec 75 % recyclés suite à la loi Grenelle. On va bientôt être en 2022, l’objectif n’est toujours pas atteint.

HM : Soit ils ne font pas assez d’effort, soit l’objectif n’était pas atteignable avec l’organisation de la filière telle qu’elle est. C’est difficile à dire car il y a beaucoup d’éléments que les éco-organismes ne maitrisent pas. Il y a des déchets qui échappent aux filières officielles, qui sont exportés. Les éco-organismes sur les DEEE essaient de s’organiser et la Commission Européenne travaille là-dessus pour essayer de lutter contre les trafics illégaux de déchets. Mais ça dépasse les éco-organismes et même la France. Pour les emballages il ne faut pas sous-estimer non plus les dépôts sauvages, tous les déchets produits ne sont pas déposés dans une poubelle de tri. On leur demande d'accompagner leurs adhérents-producteurs de sensibiliser les consommateurs pour en produire moins via l’écoconception. Est-ce que les efforts sont suffisants ? je ne sais pas.

Pour la filière DEEE tout de même, c’est plutôt une filière bonne élève où les éco-organismes sont assez en avance, pro-actifs sur ces questions. Au niveau européen, ils sont moteurs sur la question des critères d’éco-modulation.

LD : ça me fait une bonne transition. Justement la Commission européenne prévoit de recenser les « possibilités d’approvisionnement de matières premières secondaires critiques provenant des stocks et des déchets de l’UE et détermination des projets de récupération viables d’ici à 2022 (Commission, EIT Raw Materials). ». Est-ce à dire que des décharges vont être fouillées pour récupérer des matières critiques, des métaux notamment par exemple en récupérant des DEEE 10 ?

HM : Je ne suis pas au courant de tels projets, je ne sais pas quel serait le gisement dans nos décharges. Normalement, depuis la création de la filière en 2006, les DEEE ne sont pas enfouis, ils sont dépollués, traités. Seuls les déchets ultimes sont éliminés par incinération ou enfouissement.

Si ce sont des déchets assez anciens, ça ne va pas être forcément des métaux critiques qu’on utilise aujourd’hui. La particularité de cette filière c’est qu’il y a une évolution technologique assez forte. Les métaux critiques d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux de demain. Investir énormément dans la récupération de métaux dont on ne sait pas si dans dix ans ils seront toujours essentiels est un pari, il y a cette incertitude qui pèse sur cette filière. C’est très difficile de se lancer dans ce type de projet.

Si vous regardez les objectifs de valorisation des DEEE, ils sont à 80/90 % 11

Tableau issu du cahier des charges pour la filière REP DEEE

Du coup je ne sais pas ce qu’il y a dans ces décharges.

LD : Dans votre livre, vous parlez du Japon, mais c’est aussi un grand pays producteur de technologies numériques, c’est peut-être pour ça que le potentiel là-bas est plus élevé que chez nous.

HM : Oui, ils n’ont pas la même structuration de filière que nous. Effectivement, ils ont plus de production, est-ce que cela joue ? je ne sais pas.

LD : Ils ne doivent pas trop enfouir au vu de la géographie du pays.

HM : Effectivement, ils n’ont pas trop d’enfouissement. La gestion des déchets y est problématique, ils n’ont pas tellement de débouchés. Il y a une problématique insulaire. Peut-être qu’ils sont incités à éviter les décharges, et à valoriser les déchets pour libérer de la place.

On parle souvent de mines urbaines, qu’il y a de la valeur dans nos décharges. Mais il faut qu’il y en ait suffisamment pour construire une filière qui soit économiquement viable. Aujourd’hui, il n’y a pas de filière de recyclage des métaux stratégiques (en laboratoire on peut les récupérer), parce que de manière industrielle on ne sait pas faire, c’est trop compliqué.

LD : Vous dédiez un chapitre dans votre livre aux modèles de filières REP en Europe, vous dites que la Commission européenne met en avant le modèle français comme source d’inspiration pour d’autres pays. Quelles sont les actions originales dans d’autres pays européens pour favoriser la prévention des DEEE ? je pense par exemple à la TVA réduite en Suède, à l’extension de la garantie légale de conformité qui est de 5 ans en Écosse (S.SAUVAGE & L.VASSEUR, 2017).

HM : La Commission Européenne pour la filière DEEE s’intéresse à ce qui a été mis en place en France et il y a des mesures qui sont régulièrement reprises, réintroduites dans les directives européennes. L’idée n’est pas de transposer un modèle d’un pays à un autre parce que chaque pays a vraiment ces particularités. Il n’y a pas de modèle parfait unique de REP à redéployer partout. La TVA réduite est effectivement une idée à creuser. Souvent ce qui est mis en avant c’est la difficulté au niveau européen car on est contraint par les règles communautaires sur la fiscalité. Mais si ça a été fait dans d’autres pays européens, ça doit être possible. Une TVA réduite sur les produits de réparation, de réemploi, sur les produits issus de l’économie circulaire, cela est je crois intéressant. Ça doit être déjà porté par des collectifs, des acteurs, des associations qui poussent cette mesure 12.

Concernant la question de l’extension de la garantie légale, je serai plus prudente. Je vois l’intérêt du côté du consommateur pour l’encourager à utiliser cette garantie et ne pas renouveler trop souvent ces équipements, mais de l’autre côté le risque c’est de fragiliser la filière de réparation. Ça risque d’exclure les petits réparateurs indépendants qui eux réparent hors garantie. Les acteurs ont des intérêts divergents sur cette question-là.

La réparation a nécessairement un coût. Je pense qu’il faut travailler sur la réduction du coût de la réparation via l’écoconception ou via le fonds réparation par exemple.

La garantie étendue sur les produits reconditionnés ou réparés ça peut être intéressant pour rassurer le consommateur. En France, on a mis en place cette garantie. Sur ces questions de prévention, depuis la loi Hamon (2014) 13, puis la loi AGEC on est plutôt en avance par rapport aux autres pays européens sur les DEEE.

LD : Si vous avez travaillé sur ce sujet, quelles sont les pistes pour favoriser la prévention des DEEE ailleurs dans le monde (hors Europe) ?

HM : Il est probable qu’il y ait des initiatives, mais là encore une fois l’Europe par rapport au reste du monde est plutôt en avance sur les questions de prévention et d’économie circulaire.

Les lois économie circulaire en Chine et au Japon qui ont précédées le paquet économie circulaire européen s’intéressent plutôt à la dimension recyclage pour accéder à un nouveau gisement de matières plus qu’à la prévention et l’allongement de la durée de vie des produits. Le consommateur chinois n’est pas du tout près à cela, il renouvelle régulièrement ses produits pour avoir la dernière technologie. Il n’y a pas la même pression qu’en Europe ou en France sur cette question de la prévention. Aux Etats-Unis, il y a encore moins de chose sur le recyclage.

LD : Quels sont vos futurs travaux sur les déchets (si vous en avez) ?

HM : Comme je le disais au début, je traite les déchets de manière plus indirecte en travaillant sur les modèles d’affaires des entreprises pour intégrer l’économie circulaire.

LD : On arrive à la fin, aimeriez-vous ajouter quelque chose ?

HM : Effectivement, vous avez raison d’insister sur la prévention. Ça revenait plusieurs fois dans l’interview parce qu’on associe trop rapidement l’économie circulaire au recyclage, le recyclage est insuffisant. Cela a peu d’intérêt d’incorporer de la matière recyclée à un produit qui est voué à tomber en panne dans un an.

La conception durable des produits est vraiment un enjeu pour réduire la production de déchets.

Avant cela, il s’agit même de revoir nos modes de consommation pour questionner la nécessité de posséder tel ou tel produit.

L’entretien a été mené le 6 octobre, il a duré près d’une heure. Mme MICHEAUX a souhaité faire des corrections post-entretien pour faciliter la compréhension des lecteurs. Le fond des propos de l’entretien n’a pas été modifié.

Sources :

ADEME, In Extenso Innovation Croissance (Benoît TINETTI, Beatriz BERTHOUX, Arthur ROBIN, Nathan SETAYESH) et Mathieu HESTIN (expert indépendant). 2021. Fonds réparation de la filière des Equipements Electriques et Electroniques, étude préalable - Rapport final. 74 pages.

Commission européenne, 2020. COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS.Résilience des matières premières critiques: la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité.

MICHEAUX H. Responsabiliser pour transformer : des déchets aux mines urbaines. Editions Presse des Mines, 174p.

Ministère de la transition écologique, 2021. Consultations publiques. Projet d’arrêté portant cahiers des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des équipements électriques et électroniques.

SAUVAGE S. & VASSEUR L., 2017. Du jetable au durable. Editions alternatives, 160p.

Sénat, 2021. Loi économie circulaire : l’intention du législateur sur le fonds de réparation bafouée par le Gouvernement.

Wikipédia, 2021. Conférence environnementale.

Zero Waste France, 2021. Fonds réparation : mobilisons-nous contre la réduction de montant prévue par le gouvernement !

Pour aller plus loin :

BIHOUIX P., 2010. Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société. Editions Edp Sciences. 300p.

PITRON G., 2018. La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique. Editions les liens qui libèrent, 296p.

  1. La directive européenne sur les DEEE publiée en 2002 a obligé les états membres à mettre en place une filière REP pour ces déchets.[]
  2. cf. plus loin la question citant le travail d'Anne-Sophie MEROT et l'article 61 de la loi AGEC[]
  3. LD : L'étude de l'Ademe préalable à la mise en place du fonds réparation le démontre. Elle est en bibliographie.[]
  4. LD : Il y a donc deux critères sur la prévention (pièces détachées/indice de réparabilité et substances dangereuses) et deux sur le recyclage.[]
  5. La Commission européenne a publié en 2014, en 2017 puis en 2020, une liste de « matières critiques » dont l’importance économique et le risque d’approvisionnement sont les critères majeurs pour retenir la criticité de tel ou tel matériau. La disponibilité géologique n’est pas un critère essentiel. Une nouvelle liste sera publiée en 2023. Quelques exemples d’applications : il y a du tungstène pour faire vibrer les portables, le silicium est utilisé pour les semi-conducteurs des panneaux photovoltaïques, les platinoïdes pour les piles à hydrogène, lithium pour les batteries… L’UE dépend de 75 % à 100 % des importations pour la plupart des métaux selon ce même document.[]
  6. Source : Article d’Amorce (réservé aux adhérents).[]
  7. L'arrêté publié au JORF du 27/10/2021 entérine définitivement la baisse du montant prévu vis-à-vis de l'étude Ademe[]
  8. 203 millions d'euros en 2022 précisément[]
  9. LD : ça a été le cas pour eco-emballages par exemple[]
  10. Ceci est à rapprocher de l’ambition affichée dans le pacte vert pour l’Europe qui vise à identifier et dépolluer les sites avec des sols contaminés d’ici 2050 (cf. l’article des décheticiens ici).[]
  11. Extrait du cahier des charges sur les objectifs de valorisation des DEEE : « Ces objectifs sont définis, pour chaque catégorie, comme étant la quantité de DEEE entrant chaque année dans une installation de préparation en vue de la réutilisation, de valorisation ou de recyclage, après un traitement approprié pour ce qui concerne la valorisation ou le recyclage rapportée à la quantité de DEEE collectés séparément, pour cette même catégorie, par l’éco-organisme cette même année.Le calcul des objectifs de valorisation est réalisé conformément à la décision d’exécution (UE)2019/2193 de la Commission du 17 décembre 2019.»[]
  12. LD : C’est effectivement le cas, par exemple par la Fondation 2019 ou encore Yannick JADOT, candidat à l’élection présidentielle.[]
  13. Patronyme du Ministre de l'époque[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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