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La prévention des déchets dans les pays du Sud : vu par des acteurs français, vu par deux acteurs ivoirien et burkinabè.

Cet article est le dernier d'une série de trois sur sur le lien entre l'aide publique au développement et les déchets. Il fait un focus sur le traitement de la prévention au sein des projets de certains acteurs français de la coopération internationale. La suite donne la parole à deux acteurs ivoirien et burkinabè sur la situation détritique de ces pays.

La prévention : de l’oubli à l’intégration automatique dans les projets au Sud ?

Dans le cadre du projet de Promotion des Actions de Gestion des Déchets au Sud (PAGEDS) 1, deux journées d’études ont eu lieu le 7 et 8 décembre 2020. Plusieurs partenaires de la coopération internationale ont participé, comme le Gret 2 par exemple. Il y avait également d’autres acteurs comme l’Ademe, Amorce, l’Agence Française de Développement, etc. Un atelier portait sur la prévention des déchets, l’objectif était de partager des expériences et des idées pour : « aider à intégrer la prévention dans les stratégies de gestion des déchets au Sud. » Les participants ont fait deux constats importants :

- la prévention est un impensé dans les projets d’accompagnements des pays du Sud sur les déchets ;
- la prévention n’apparaît pas prioritaire au Sud, car il y a peu de gaspillage et beaucoup de réutilisation. Pourtant ce mode de traitement pourrait réduire les coûts et les déchets selon les participants.

Effectivement, un rapport de 2019 de l’agence française de développement (AFD) démontrait que les quantités de déchets produites étaient moindres dans les pays du Sud à l’heure actuelle, la composition aussi était différente.

L’atelier multi-acteurs a fait ressortir que les enjeux de réduction des déchets dans les pays du Sud portent sur :

  • Les matières organiques compostables ;
  • Le sable ;
  • Les déchets plastiques.

Ces matériaux représentent à eux trois 80 à 90 % des ordures ménagères selon la synthèse écrite qui a été faite de cet atelier. Un autre problème éclos, l’apparition des couches jetables « qu’on ne trouvait pas il y a 20 ans au Sud ».

Composition des ordures ménagères selon les niveaux de revenus par pays (AFD-2019)

Après avoir présenté des exemples de réduction des déchets concernant le plastique, le sable et les restes organiques, les participants ont conclu l’atelier par plusieurs idées pour améliorer la prévention des déchets dans ces pays du Sud. Ces pistes vont pêle-mêle du plaidoyer envers diverses cibles (élus, citoyens…), de la mise en avant des coûts évités, l’inclusion d’un projet prévention pour tous les projets gestion des déchets, laisser du temps aux acteurs du Sud pour s’approprier la thématique prévention…

Le cas de la Côte d’Ivoire, pays non prioritaire pour l’aide internationale française

La Côte d’Ivoire n’est pas prioritaire. Ce pays d’Afrique de l’Ouest de près de 25 millions d’habitants ne fait pas partie des PMA 3. Ainsi, selon Raymond KALOU, consultant et spécialiste 4 de la gestion des déchets du pays qui nous a répondu, aucune commune n’a bénéficié du 1 % déchet là-bas depuis 2014. Pourtant là-bas aussi les enjeux sont multiples :

  • Les inégalités. Les services sont de meilleure qualité dans les territoires les plus aisés, et quasi inexistant dans les territoires ruraux plus pauvres. D’autres inégalités en découlent ou s’ajoutent, comme la qualité de la voirie, la topographie, la formation des gestionnaires, les comportements des habitants ;
  • Les risques sanitaires et environnementaux. Les décharges sauvages constituées en l’absence de toutes règles entraînent des pollutions des sols, des nappes phréatiques et cela peut aller jusqu’à atteindre la lagune. En l’absence de dispositif d’étanchéité, les lixiviats, non récupérés, affectent le milieu environnant. A cela, s’ajoute les fuites de méthane. Les conséquences sanitaires touchent les plus précaires qui vivent à proximité des décharges. Les maladies véhiculées par des rongeurs, des insectes les touchent en premier.
  • La structuration et le financement de la politique des déchets. L’hétérogénéité des acteurs (communes, Etat, récupérateurs de l’économie parallèle), le clientélisme politique, l’instabilité institutionnelle permanente (changement de Ministres, restructuration des Ministères), le sous-financement du service sont autant de faiblesses de la politique des déchets en Côte d’Ivoire selon Monsieur KALOU.
R.KALOU - consultant indépendant, spécialiste de la gestion des déchets

Malgré, la création en octobre 2017 de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED) par le gouvernement, la Côte d’Ivoire n’a toujours pas mis en œuvre de stratégie politique sur les modes de traitement des déchets à l’instar de la France et de l’Union Européenne. La prévention n’apparaît pas dans ses missions et objectifs, on trouve sur son site Internet les mentions d’« économie circulaire » et de « valorisation » (ANAGED, 2021). Néanmoins, quelques ONG comme Page Verte Internationale mènent des actions de sensibilisation et de prévention selon le spécialiste interrogé.

Une des grandes actions de l’ANAGED, est la création d’un Centre de Valorisation et d’Enfouissement Technique aux normes à 26 km d’Abidjan (capitale économique) à Kossihouen. Il remplace une ancienne décharge et traite environ 1 250 000 tonnes par an, soit 90 % des déchets produits dans le District Autonome d’Abidjan.

Pour rappel, le pays a connu en 2020 une crise politique majeure et meurtrière (Le Monde, 2021), ce qui pourrait ne pas aider à la coopération bilatérale entre la France et la Côte d’Ivoire.

Le cas du Burkina-Faso

Ce pays de près de 20 millions d’âmes est également à l’ouest de l’Afrique. Comme d’autres pays du Sahel, il fait partie des pays prioritaires de l’aide au développement française décidé par le CICID 5 le 8 février 2018. La Cour des comptes a récemment publié un document rappelant les failles dans les engagements français au Sahel (Cour des comptes, 2021). La Cour rappelle ainsi que dans les faits (financements), l’aide au développement au Sahel n’apparaît pas être prioritaire, que les prêts dominent toujours les dons, que les dépenses militaires ont crû mais pas l’aide au développement qui en restée au mêmepoint qu’en 2013 (en pourcentage). L’instabilité géopolitique est un argument avancé dans les défaillances de l’aide au développement.

Ce pays fait notamment partie du G5 sahel avec la Mauritanie, le Tchad, le Mali, et le Niger. Ce G5 sahel « est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d'un sommet du 15 au 17 février 2014 » selon la page wikipédia qui lui est consacrée. La situation sécuritaire s’est dégradée depuis quelques années avec l’essor des groupes djihadistes dans la zone, et ce malgré l’opération militaire dite Barkhane, à laquelle la France participe. Fin 2020, le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a classé plusieurs zones du pays en rouge (formellement déconseillé).

Source : France diplomatie.

Outre cette situation sécuritaire qui s’aggrave depuis quelques années dans l’ancienne république de Haute-Volta, les défaillances sur le plan économique, sanitaire et éducatif s’y additionnent. Selon l’Indice de Développement Humain (IDH 6) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Burkina Faso se classait 182e sur 189 pays en 2019.

Malgré cela, plusieurs partenariats entre des collectivités et syndicats français ont pu se concrétiser témoigne Séraphin KOUTABA, responsable du Département promotion de l’Hygiène et de l’Assainissement au sein de l’association CEAS 7 Burkina. Les décheticiens a reccueilli ses propos.

Séraphin KOUTABA

La commune de Bittou et Châteauroux (Indre), la commune de Gon-Boussougo et Chaponost (Rhône), Banfora avec Chauvigny (Vienne), et Ziniaré et Boussé avec des structures limousines, et Kaya avec Châtellerault (Vienne) ont noué des relations via les déchets. Les partenariats ont consisté principalement à réaliser des diagnostics de la gestion des déchets, à former les membres des services techniques des communes burkinabè et à élaborer des plans de gestion des déchets. Pour d’autres communes Burkinabè, comme Saaba, Gourcy, Pô, Kombissiri, Yako, l’accent est mis sur la sensibilisation pour faire adhérer la population aux nouvelles politiques menées concernant la gestion des déchets. Séraphin KOUTABA met en avant les initiatives prises par le CEAS Burkina et d’autres partenaires dans l’impulsion d’actions locales. Il signale que la politique locale des déchets au Burkina Faso englobe d’autres actions comme la mise en place des infrastructures et équipement de gestion des déchets, et le renforcement des capacités d’action des opérateurs de collecte.

Ces plans locaux émergents contrastent avec l’absence de politique nationale de gestion des déchets, au regret de M.KOUTABA. Il aimerait que la France aide son pays à structurer une politique nationale sur les déchets en cohérence avec les réalités locales. Il fait remarquer qu’il existe une stratégie nationale d’assainissement qui traite de la gestion des eaux usées et excrétas (qu'on appellerait assainissement en France). Cette absence de politique nationale peut s’expliquer par la récence de la problématique liée aux déchets au Burkina Faso. Il dresse un portrait qui résume la situation de la gestion des déchets au « Pays des Hommes intègres » (traduction littérale des langues Mooré et Dioula) :


« Le secteur de la gestion des déchets est jeune au Burkina même si la problématique est très préoccupante. Malgré l’existence des textes et lois réglementant la gestion des déchets, rares sont les communes qui disposent d’un système organisé de gestion des déchets.  Dans la majeure partie des communes, la gestion des déchets se résume à leur enlèvement par des associations dans les ménages et leur abandon dans la nature contre paiement d’une redevance mensuelle. A l’opposé de vos pays, l’abonnement au service de la collecte des déchets est volontaire même si les textes qui régissent le secteur recommandent que chaque producteur de déchets prenne les dispositions pour assurer son traitement. »

Suite à notre question, sur ce que pourrait faire la France et les collectivités françaises pour aider son pays, Séraphin KOUTABA cite ces solutions :

  • « Renforcement de la coopération entre collectivités du Nord et du Sud pour susciter une prise de conscience des acteurs au niveau local au Sud » ;
  • « Faciliter l’accès au mécanisme du 1% déchets pour structurer la gestion des déchets »
Des femmes et un homme burkinabè devant du compost en formation au Burkina-Faso (cc S.KOUTABA)

Il va sans dire que la prévention fait l’objet de peu d’actions, à part sur la matière organique, témoigne notre interlocuteur du CEAS. Il mentionne également la création d’unités de fontes du plastique pour en faire du mobilier de bureau [sic].

Concernant la matière organique, dans les villes moyennes comme dans les communes où la gestion est organisée, le compostage est réalisé après collecte. Ces ressources sont utilisées pour l’agriculture, le maraîchage notamment précise notre interlocuteur burkinabè.

Bien que ça ne soit pas le seul continent où les enjeux sont énormes (en Europe aussi des situations sont préoccupantes : Macédoine, Albanie, pays de l'Est plus généralement…), la prévention et la gestion des déchets en Afrique subsaharienne peuvent faire pâlir d’un point de vue européen, français. Ce chantier comme d’autres est colossal sur ce territoire. Et la France, via ses collectivités et syndicats, a jusqu’ici très peu aidé ces partenaires historiques notamment au regard de l’aide au développement.

Faut-il aller, en plus du 1 % déchets, vers une taxe mondiale sur la production de plastique comme le préconise l’économiste Ted SIEGLER pour financer les pays en développement ? ou utiliser une partie de la taxe européenne sur les plastiques non recyclables pour se faire ?

Quelle priorité retenir ? Prévenir ? ou collecter pour transformer via le recyclage ou la valorisation énergétique ? quel que soit les choix faits, les 12 travaux d’Hercule se profilent.

Sources :

AFD, 2019. Notes techniques. Détourner les déchets : innovations socio-techniques dans les villes du Sud.

ANAGED, 2021. Missions et objectifs.

Cour des comptes, 2021. Les actions civiles et militaires de la France dans les pays du G5 Sahel.

Geo, 2021. IDH : Qu’est-ce que l’Indice de développement humain ?

Le Monde, 2021. En Côte d’Ivoire, des législatives pour oublier les violences de la présidentielle.

PNUD, 2020. Rapport sur le développement humain 2020.

Pour aller plus loin :

- Se renseigner auprès d’Amorce, qui dispose d’une boîte à outils sur l’action internationale et le dispositif 1 % déchets ;

- Se renseigner auprès de l’agence française de développement ;

- Se renseigner avec le réseau de recherches en sciences sociales : sociétés urbaines et déchets

- Se renseigner auprès de son réseau régional multi-acteur (RRMA).

  1. Les pays du Sud cités ne sont pas toujours des pays d’Afrique (Haïti, Philippines).[]
  2. Structure qui se présente comme les « professionnels du développement solidaire » sur son site Internet.[]
  3. Pays Moins Avancés[]
  4. il se déclare lui-même ainsi[]
  5. Comité interministériel de la coopération Internationale et du développement.[]
  6. Il se mesure sur trois critères : le PIB/habitant, l’espérance de vie, et le niveau d’éducation mesuré à partir de 15 ans et plus (Geo, 2018).[]
  7. Centre Ecologique Albert Schweitzer[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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