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Évaluation de la loi AGEC : nouveaux constats d'échec pour la prévention

Photo compte X de la députée Riotton
Par MESLARD-HAYOT Hugo le 15/06/2024
La loi Agec a fait l'objet d'un bilan par les députés. Si la loi est globalement saluée, elle reste "au milieu du gué" selon les rapporteurs. Pour la prévention, aucun objectif n'est atteint, en passe d'être atteint ou évaluable.

Les constats se répètent, manque de contrôles et sanctions en tête

« Le bilan 1980 […] a montré que, même si des progrès substantiels avaient été accomplis, un effort important restait nécessaire. ». (Ministère de l’environnement, 1982). Sous une autre forme, voici ce que M. TAUVERON écrivait sur la grande loi de 1975 sur les déchets « On voit la distance qui existe dans la promulgation de la loi et son application » (Tauveron, 1984). Les périmètres et enjeux entre cette loi de 1975 et la loi AGEC 2020 sont évidemment différents. Mais les rapporteurs ont écrit peu ou prou la même chose que M. TAUVERON quarante ans plus tard « plusieurs dispositions de la loi sont peu appliquées, voire pas du tout appliquées ». Les lois et les constats associés de leur faible pouvoir de transformation du réel se suivent.

Le Parlement vient donc d’évaluer la loi AGEC. Cela fait partie de ses missions. Cette loi visait « à transformer notre modèle de production et de consommation en un modèle circulaire, efficient et respectueux de l’environnement » selon le rapport remis par les députés Delautrette (PS) et Riotton (Renaissance). Elle visait à réduire la production de déchets, conformément à ce qu’on appelle la hiérarchie des modes de traitement. Les rapporteurs relèvent que la loi est « globalement saluée » par les parties prenantes.

Les rapporteurs regrettent le manque de données et d’indicateurs pour suivre l’atteinte des objectifs. De nombreux objectifs fixés ne sont pas évaluables tel que celui de baisse du gaspillage alimentaire, ce qui est fâcheux pour des législateurs. Ils dénoncent aussi le manque d'application des contrôles et sanctions. Ce travers récurrent a été dénoncé un peu plus tôt par un consortium de 5 ONG 1 lors de la publication de leur propre bilan d’évaluation de cette loi. Contacté, Alexis Lemeillet, cofondateur de l’entreprise Take a Waste partage ce constat. Il explique que les objectifs généraux 2 et spécifiques de prévention « ne sont contraignants pour personnes » (collectivité, entreprise, metteurs en marché), faute de contrôles et de sanctions dissuasives. Il indique louper des opportunités commerciales à cause de cela car des professionnels savent qu'il n'y a pas de contrôles.

La loi est globalement "saluée" mais pour ce qui est de la prévention uniquement, il n'y a toujours point de salut. Dans leur proposition n°7, les rapporteurs appellent à promouvoir la loi AGEC à l’échelon européen pour défendre les avancées françaises. Cette proposition semble se compliquer avec l’arrivée en France du rassemblement national en tête des européennes le 9 juin. Quant aux quatre-vingt-dix-neuf autres propositions, nous en analysons ci-après quelques-unes.

Cent propositions, zoom sur certaines mesures de prévention

En termes de propositions, les rapporteurs en proposent cent tout rond pour faire progresser l’économie circulaire. S’ils constatent en introduction une « inflation normative », les députés ne s’évitent pas le paradoxe puisqu’ils proposent une nouvelle ribambelle d’évolutions législatives, réglementaires (sans passer par une loi AGEC II) pour donner vie à leurs propositions. Des propositions sont proches ou identiques à celles faites par le consortium d’ONG cité plus haut, par Amorce, l’INEC, la Cour des Comptes, etc. Nous analysons ci-après quelques propositions dans chaque paragraphe.

Les rapporteurs proposent de généraliser les objectifs de prévention des déchets dans chaque filière REP et d’introduire des pénalités (malus) sur les mises en marché de produits. Actuellement, seule la filière emballages ménagers a un objectif précis de baisse des déchets d’emballages dans son cahier des charges. Ils notent une faible acculturation à la prévention des déchets chez les éco-organismes « bien qu’ils y soient sensibilisés, l’enjeu de la prévention des déchets n’est pas encore un acquis solide ». Cette proposition n° 43 devra aller de pair avec une autre proposition, à savoir renforcer les contrôles et sanctions sur l’atteinte des objectifs. En revanche, ils ne reprennent pas l’idée de la rue de Cambon d’un indicateur sur le chiffre d’affaires dédié à la prévention dans les budgets des éco-organismes.

Les rapporteurs demandent donc une ribambelle de mise en œuvre effective ou un renforcement de contrôles et sanctions, ainsi que de clarifier les compétences des agences (DGCCRF, DREAL, douanes…) chargées de contrôler certaines dispositions (interdiction étiquette non compostable sur les fruits et légumes, interdiction jouets plastique dans les menus…). Les décheticiens évoquaient ce sujet dans un précédent article ici. C’est un sujet récurrent, même en dehors de la thématique des déchets (ehpad, crèches, conteneurs de marchandises…). Déjà en 1999, dans un rapport du Conseil Economique et Social 1, la rapporteure Michèle ATTAR écrivait sur « “L’ardente obligation de réduire“ […] il n’y a ni instance de contrôle, ni moyens spécifiques, ni vérification de cette “ardente obligation“.

La proposition n°78 remet une énième fois sur la table la création d’une « TVA circulaire ». Les rapporteurs suggèrent de l’introduire dans la loi de finances pour 2025 en adoptant une TVA à taux réduit à 5,5 % pour le secteur de l’économie de la fonctionnalité et pour les opérations de réparation de l’électroménager, des chaussures et articles en cuir et des vêtements et du linge de maison. Le rapport préconise de travailler au niveau européen pour revoir la directive sur la TVA afin d’inclure plus d’opérations pouvant bénéficier de ce taux de TVA réduit pour la réparation (ameublement ou outillage par ex.). Le rapport 2023 de l’INEC 3 proposait déjà cela pour la loi de finances 2024, mais cela n’avait pas été fait. La réparation de vélo proposée au taux réduit par l’INEC en 2023 n’est pas reprise ici par les parlementaires par contre.

Source : INEC, 2023.

La logique est inversée vis-à-vis de la TGAP 4, la baisse de TVA est supposée faire baisser les prix pour le consommateur plutôt que de sanctionner l’aval de la production de déchets pour le contribuable. Les rapporteurs n’évoquent pas le risque d’absorption du différentiel de taux de TVA par les marges des entreprises par exemple.

Les rapporteurs ont constaté que l’information des professionnels sur la réglementation existante est régulièrement méconnue (pharmaciens pour la délivrance d’antibiotiques à l’unité, restaurateurs pour le gourmet bag, obligations de reprise de produits usagés …). Pour remédier à cela, ils appellent à davantage informer les professionnels et les clients ou patients. Dans d’autres domaines aussi ils appellent à mener des campagnes d’informations tous azimuts, sur le bonus réparation, sur l’outil de signalement « signal conso », sur la formation aux métiers de l’économie circulaire, sur les gestes de tri pour les biodéchets…

En 2022, lors de l’évaluation du plan national de prévention des déchets, l’autorité environnementale recommandait d’étudier des « évolutions fiscales possibles en faveur de la prévention des déchets et de développer des mesures en ce sens ». Les mesures sur la tarification incitative (TI) ou la TVA circulaire sont des mesures fiscales en lien avec le principe pollueur-payeur. Pour accélérer le déploiement de la TI, ils reprennent l’idée du rapport 2022 de la Cour des comptes de baisser de 80 % les surcoûts de mise en place via des subventions Ademe par exemple. Les rapporteurs veulent aussi imposer aux éco-organismes des études sur l’élasticité-prix pour « mieux calibrer » les éco-modulations des écocontributions. En revanche, il n’y a pas de préconisations pour réformer la taxe générale sur les activités polluantes, c’est une demande historique d’Amorce. L’association de collectivités veut revenir au fléchage des recettes de cette taxe vers la prévention. La demande d’étude pour évaluer l’efficacité du signal-prix TGAP sur la prévention n’est pas inscrite dans le rapport. La réforme de la TGAP en 2019 n’a donc à ce jour pas été évaluée.

Enfin, la proposition N°12 vise à définir une feuille de route des métiers de l’économie circulaire pour répondre aux besoins des différentes filières. En revanche, les rapporteurs n'écrivent pas un mot sur le rapport prévu à l’article 8 de la loi AGEC. Il devait être remis en même temps que le nouveau plan national de prévention des déchets 2021-2027. Ce rapport devait s’intéresser aux reconversions d’entreprises (et donc des salariés) rendues nécessaires par la perspective de fin des emballages plastiques à usage unique d’ici 2040. Des dizaines voire une centaine de milliers d’emplois sont tout de même dans l’équation. D’autres oublis ont été sciemment réalisés ou non par les rapporteurs.

Quelques oublis d'évaluation

Côté budget, les rapporteurs indiquent qu’il faudrait augmenter les crédits du fonds économie circulaire géré par l’Ademe. Ils citent également le plan d’investissement « France 2030 », le plan « France relance », le programme d’investissement d’avenir (PIA) et le fonds vert comme source de revenus permettant de déployer l’économie circulaire. Ils proposent aussi de doubler le montant des fonds réemploi pour passer minimum de 5 % aujourd’hui à 10 % à l’avenir. Mais il n’y a pas d’analyse détaillée sur l’usage de l'ensemble de ces fonds, et rien ne permet de garantir que l’article L541-1 du code de l’environnement est respecté, à savoir que « Les soutiens et les aides publiques respectent la hiérarchie des modes de traitement des déchets ». Le rapport n’évoque pas la maigreur des dépenses de prévention allouées par les éco-organismes comme les collectivités dans leurs budgets respectifs.

Ils n’évoquent pas non plus les incohérences fiscales subies via l’Union Européenne. En effet, alors que l’UE est à la base de la directive de 2008 faisant de la prévention la priorité, celle-ci mène une politique fiscale parfois incohérente. La France est la plus grande contributrice européenne (en valeur absolue) pour ses faibles performances en matière de recyclage des plastiques. Les contribuables français payent 1,6 milliards d’euros de 'taxe plastique non recyclé" (Contexte, 2024). Il est un peu incongru de se voir sanctionner pour de mauvaises performances de recyclage, quand aucune taxation équivalente n’existe pour de mauvaises performances de prévention. Cela pourrait être est une des raisons qui pousse la France à davantage prioriser le recyclage des plastiques sur leur prévention, dans un pays où la hausse des impôts est actuellement une ligne rouge. Ceci dit, l’UE n’a à ce jour pas d’objectif de baisse des déchets globaux des déchets au sein des états membres donc elle ne peut pas appuyer ses sanctions sur des objectifs de prévention européen inexistants.

Aussi, les décheticiens avait fait une des rares enquêtes récentes sur le sujet ici, mais les rapporteurs n’évoquent jamais le respect du tri des déchets d’emballages en sortie de caisse en grande distribution. Toujours sur le sujet des emballages ménagers, aucune mention de la hausse des refus de tri n’est écrite depuis la mise en place du plan de modernisation des centres de tri pour l’extension des consignes. Le rapport 2022 de la Cour des comptes en parlait brièvement lui.

Un nouveau constat d'échec, et alors ?

Nous avions déjà analysé ici la kyrielle de rapports faisant le constat de l’échec de la prévention des déchets. Il y en a eu plus d’une dizaine depuis cinquante ans. Nous pouvons ajouter celui-là. Pour Alexis Lemeillet, il n’y a pas de mesures ambitieuses pour vraiment réduire à la source les déchets, via un signal-prix fort « sur la production de produits neufs » ou des interdictions « au-delà d’interdictions symboliques, comme les pailles ou les touillettes en plastique à usage unique ». La proposition n°93 du rapport vise tout de même à interdire à terme et de manière concertée avec les industriels "les emballages en plastique non recyclables". Rappelons ici que l'article L541-9 du code de l'environnement prévoit déjà cette possibilité car les fabrications de "produits générateurs de déchets peuvent être réglementées en vue de faciliter la gestion desdits déchets ou, en cas de nécessité, interdites." Cet article est peu ou pas usité à notre connaissance.

Malgré l’énième rappel de la hiérarchie des modes de traitement, les rapporteurs font encore le constat que « La prévention de la production de déchets, l’écoconception, et le réemploi ou la réutilisation restent ainsi les parents pauvres » 5. Ils constatent que « les moyens déployés ces trois dernières années pour appliquer la loi Agec ont porté de manière prioritaire sur le recyclage ». Ils appellent à changer d’échelle pour faire de la prévention en masse.

Pour conclure, reprenons une citation de Greta Thundberg. L'activiste suédoise est connue pour ses propos parfois durs envers les dirigeants quand il s’agit de climat et de biodiversité. Ils sont applicables aux objectifs français de prévention « De temps à autre, nos responsables prennent quelques engagements et mettent en place une série d’objectifs vagues, non contraignants, souvent lointains. Puis, dès qu’ils ont échoué à les atteindre, ils en fixent de nouveaux. Et ainsi de suite. Cela peut paraître absurde, mais fonctionne parfaitement » (Thundberg, 2022). La loi Agec a permis de poursuivre une transition mais n’a pas permis de transformation de notre modèle de production et consommation. Il faut s’en douter, quatre ans pour transformer ce qui s’est sédimenté depuis des décennies n’est pas chose aisée, malgré que le temps du changement urge. A l’heure de la dissolution, il est difficile de savoir si la nouvelle législature s’emparera de ces sujets.

Les rapporteurs n’ont pas répondu aux questions des décheticiens. Elles ont été adressées avant la dissolution de l’Assemblée Nationale.

  1. Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, No Plastic in my Sea, Surfrider Foundation, Zero Waste France[]
  2. DMA, DAE[]
  3. Institut National de l’Économie Circulaire[]
  4. taxe générale sur les activités polluantes[]
  5. Ils reprennent ainsi la terminologie utilisée par la Cour des comptes en 2022.[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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