Pratique usitée depuis des milliers d’années, la mise en politique du compostage individuel (CI) à la française s’est faite dans les années 1990 (Bailly et al., 2021) 1. Les sociologues Bailly, Barbier et Daniel, auteurs d’un livre sur la prévention des déchets parlent de son essor en ces termes « de nombreuses collectivités se mirent à subventionner, voire à mettre gratuitement à disposition, des bacs à compost individuels ». L’Ademe et Amorce remontent respectivement à 1995 et 1994 pour les 1e distribution par les collectivités (Gentric et al., 2022 ; Amorce, 2023). Le plan national de soutien au compostage domestique de 2006 fut le premier coup de fouet institutionnel. Il fixa un objectif d'un million de foyers équipés fin 2011, objectif atteint et dépassé avant 2010 selon les données Ademe.
L’’Agence de la transition écologique estimait que 2,2 millions de composteurs avait été distribué par les collectivités entre 2000 et 2014 (Ademe, 2014). Plus récemment, ce chiffre a été revu et l’estimation tablait sur 2,5 à 3,2 millions depuis le début des distributions, avec une distribution de 292 000 unités sur la seule année 2021 2 (plus qu’avant Covid en 2020 – Haeusler et al., 2023). Dans ces données sur les composteurs distribués, la difficulté est de savoir la part de pratiquants, et de nouveaux pratiquants. Pour ces derniers, certains équipements viennent s’ajouter à un 1er (déjà fourni par la collectivité si elle l’autorise, ou sinon obtenu autrement), d’autres remplacent une pratique en tas, ou remplacent un composteur arrivé en fin de vie par exemple. Fin 2021, 99 % des collectivités avait mis en place cette solution de compostage historique pour le tri à la maison des biodéchets (Amorce, 2023).
Malgré ces opérations de prévention historique, la collectivité n’est pas la voie privilégiée pour obtenir son composteur pour les ménages.
Dans son dernier grand sondage 2020 sur la gestion domestique de l’organique, l’Ademe estimait que 64 % des interrogés métropolitains avaient un composteur (ou lombricomposteur) individuel sans recourir à la collectivité. Pour sa part Amorce analysait en 2019 « Selon les données fournies par quelques collectivités, le nombre de personnes utilisant d’autres outils pour composter serait près de 1,5 fois plus importantes que ceux utilisant les composteurs fournis par la collectivité. ». Cela implique aussi qu’ils n’aient pas nécessairement accès aux guides, formations, informations fournies par la collectivité pour mener à bien son compostage.
A ce non-recours, il faut ajouter les ménages qui compostent en tas, sans équipement donc. Selon le sondage Ademe 2020, 25 % des répondants disaient composter leurs déchets alimentaires en tas dans le jardin. L’étude Ademe 2023 sur le brûlage des déchets verts annonçait 26 % de compostage de déchets verts en tas. On peut donc affirmer que la majeure partie du compostage individuel se fait sans utiliser le service public des déchets. L’analogie avec la grande enquête Ademe de 2008 met au jour un fort recul du compostage en tas au profit du composteur. En 2008 déjà, le composteur était privilégié pour les restes de cuisine mais pas pour les déchets verts. Cela est surtout pour des raisons esthétiques, les ménages préférant cacher les biodéchets les plus "dégoulinants".
En 2021, les maisons individuelles représentaient 55,4 % des logements en France (hors Mayotte). C’est le mode d’habitat dominant. Tous ces logements n’ont pas automatiquement de jardin, et a contrario vivre en résidence collective ne signifie pas nécessairement ne pas avoir de jardin 3. Selon une enquête Insee, en 2017, 53 % des français avaient un jardin (Demoly et Schweitzer, 2021).
L’enquête Ademe de 2008 avait évalué que « 35 à 43 % » des ménages résidant en habitat individuel géraient leurs déchets de cuisine à la maison. Mais cela ne voulait pas dire qu’ils faisaient tous du compostage, l’alimentation animale était une voie de valorisation importante. Parmi ces « 35 à 43 % », il y en avait « 31 à 32 % » qui compostaient leurs déchets de cuisine (de façon plus ou moins poussée). Plus récemment, Amorce estimait en 2019 « près de 25 % de la population pratiquerait actuellement le compostage individuel » (tous types d’habitats confondus). Le hic, c’est que la part nationale de ménages vivant en maison avec jardin qui composte est inconnue. Pour cet article, seule une mention de 1999 a été trouvée « La population volontaire dépasse rarement les 10 % de la population en habitat pavillonnaire » (Resse, 1999). On ne sait pas si cette donnée parle du cas étudié, en l’espèce Rochefort (17) ou de la France en général.
Pour leur pendant, les déchets verts, la dernière enquête Ademe 2020 indiquait que 21 % des interrogés avec un extérieur (jardin, balcon, terrasse…) faisaient du compostage de déchets verts 4. Dans une enquête plus récente et plus ciblée sur le jardin, 63 % déclaraient composter au moins un déchet vert 5 (Berluet et al., 2023). Selon cette même étude, 40 % des mêmes interrogés affirmaient composter leurs tontes et 42 % leurs feuilles. Toujours selon cette étude, pour les tontes et feuilles, le CI domine les autres pratiques (laisser sur place, dépôt en déchèterie, paillage, mulching, collecte, mise aux OMR, brûlage…).
Ces données sont déclaratives, il se peut qu’elles diffèrent avec la réalité donc. C’est pourquoi il est nécessaire d’évaluer plus précisément ce que recouvre la pratique à domicile du compostage par les ménages. En tout état de cause, malgré l’apparente commodité pour composter dans son jardin, cela semblerait encore une pratique minoritaire.
Ce compostage se révèle plutôt efficace en matière de détournement des biodéchets des OMR 6 selon les études cumulées jusqu’à ce jour. Mais quasiment toutes ces études appellent à affiner les données et à les prendre avec précaution. Les échantillons peuvent être faibles et des incertitudes méthodologiques (estimations, enquêtes, autopesées des ménages…) peuvent altérer leur fiabilité. Mais les données commencent à s’affermir malgré tout, et de la cohérence semble surgir. Ainsi, sur cinq études colligées, celles-ci évaluent à 40 à 70 kg/hab. participant/an de déchets de cuisine compostés à domicile 7.
Pour l’étude Ademe 2008, le 40 kg affiché est une « hypothèse basse ». Pour l’étude 2013 d’universitaires, parmi les 38 foyers volontaires ayant pesé, le nombre de 42 kg ressort pour les faibles trieurs (moyenne à 54 kg). A l’opposé, l’étude 2018 pour l’Ademe, réalisée à partir de foyers témoins, donne 67 kg. Elle est considérée comme dans la fourchette haute des données par l’Agence. Pour l’étude 2013 précitée, un nombre de 69 kg ressort pour ceux qui effectuaient un tri poussé. L’étude 2022 toute à droite du graphique est un peu à part, le 66 kg est une médiane (et non une moyenne) et elle prend un peu en considération les déchets verts. A partir de cela, on peut subodorer qu’une moyenne de biodéchets détournée se trouve quelque part entre 50 kg et les 60 kg/hab./an de l’étude Amorce 2019. On peut supputer que la moyenne a augmenté en quinze ans du fait d’une meilleure maîtrise du geste de compostage par les foyers qui compostent plus de restes. Enfin, en ajoutant des déchets verts au compostage, l’étude de 2013 avoisinait le total de 100kg de biodéchets compostés. Performant le compostage individuel ? malgré les données s'accumulant, selon l’Ademe « il n’est, dans l’état actuel des connaissances, pas possible de comparer » les quantités triées en gestion de proximité et en collecte séparée à cause du manque d’informations et/ou d’indicateurs fiables par exemple (Ademe, 2023). Aussi, les consignes de tri communiquées aux ménages ne sont parfois pas les mêmes entre la collecte et la gestion in situ parfois.
Sur les coûts également, l’Ademe insiste sur le manque d’informations. Il est « encore trop difficile à obtenir. Le suivi de cet indicateur est à mettre place et/ou à consolider. ». Parmi la dizaine de sources épluchées sur les coûts du compostage de proximité 8, une seule ressort pour le compostage individuel. Amorce évalue à 2,73 €/hab. desservi/an 9 le coût du compostage à la maison (Amorce, 2020). Amorce invite à une grande prudence sur cette donnée au regard de la variabilité des informations transmises par les 75 collectivités. Ce coût pourrait augmenter en cas d’accompagnement plus poussé des usagers par les collectivités, tout en diminuant le coût des OMR. À l’heure du tri à la source des biodéchets, ne pas pouvoir chiffrer ce coût plus de quinze ans après la mise en politique du compostage individuel peut paraître étonnant.
En bref, l’Ademe conclut que malgré qu’elle soit « répandue » et « ancestrale », la pratique du compostage de proximité (dont l’individuel) reste « complexe à évaluer ». L’agence assène « Moins de la moitié des collectivités évaluent le résultat des actions qu’elles ont menée sur le compostage individuel. ». Pour y remédier, l’Agence appelle à renforcer le suivi de plusieurs paramètres « pour pouvoir mesurer l’efficacité des actions déployées et l’atteinte de l’objectif réglementaire» 10. L’ademe liste des critères tels que la population desservie VS la population participante, la qualité de la pratique, les quantités détournées, la qualité du compost produit, les moyens humains et financiers dédiés. Seules les EPCI 11 avec tri-mécano-biologique doivent justifier de la population couverte par le CI via les équipements distribués ou un sondage (article 2 de l'arrêté du 07/07/2021). Les EPCI sans ce type de mode de traitement n’ont pas de justification réglementaire à fournir sur l’efficacité de leur politique de CI. Elle l'évalue parfois de leur propre chef.
Outre la difficile évaluation du détournement pondéral, ou de l’évaluation économique, il est également difficile de jauger de la qualité des pratiques.
Distribution d’équipement ne signifie pas utilisation, utilisation ne signifie pas bonne utilisation. De nombreux freins peuvent exister pour pratiquer, tels que la méconnaissance, la peur des nuisances (odeurs, rongeurs, insectes volants…). 12 L’accompagnement pour lever ces freins laisse toujours à désirer. De nombreux documents ont alerté sur ce fait.
En référence aux années 1990, les sociologues cités au début de l’article déclaraient que la distribution de composteurs à l’époque s’était faite « sans trop se soucier au demeurant des pratiques existantes ni des usages effectifs de ces bacs… ». Cette critique pourrait encore être faite pour de nombreuses collectivités aujourd’hui. Dans l’enquête Ademe de 2008, 72 % des foyers avec jardin déclaraient composter sans suivi.
Pourtant l’Ademe l’écrit et le répète çà et là « L’accompagnement et le suivi de la pratique est un aspect fondamental pour la réussite du compostage » (2014), quatre ans plus tard « L’ADEME recommande aux collectivités de bien compléter la distribution de composteurs individuels par un dispositif d’accompagnement pour l’appropriation de la pratique par les usagers. » (Ademe et al., 2018). Mais aussi en 2022 « L’accompagnement et le suivi des usagers sont des gages de réussite pour le déploiement du compostage individuel." Amorce fait ce conseil aussi que l’obtention de composteurs soit « adossée systématiquement à une formation des usagers ». Malgré ces incantations répétées, de nombreuses lacunes demeurent dans l’accompagnement des foyers.
Des pratiques peuvent s’apparenter à une non gestion, une pratique approximative, non optimisée. Les rapporteurs d’une mission évaluant le service public des déchets qualifiaient cette pratique de « pourrissoir » ou « poubelle supplémentaire ». Ils déploraient que l’utilisation des composteurs fût « souvent mal maîtrisée » (rapport interministériel, 2014).
Face à cela, les collectivités ne font pas rien, mais leurs actions ne semblent pas suffire. En 2014, l’Ademe constatait « Les collectivités se sont bien saisies de cette question, avec 51 % qui ont mis en place un dispositif de suivi et d’accompagnement des sites de compostage individuel ». Mais la plupart des actions relèvent de la communication, la sensibilisation avec des guides distribués, des formations plus ou moins rapides… Amorce a demandé aux EPCI[1] ce qu’ils envisageaient pour déployer le compostage individuel, la communication ressort en tête, devant le renforcement des moyens humains. Amorce appelle d'ailleurs les pouvoirs publics à renforcer le soutien financier aux EPCI 13.
Les visites de contrôle à domicile ne sont pas les premières solutions envisagées. Amorce dans un guide de 2020 indique que pour pérenniser la pratique il fallait des « Visites à domicile sur demande » ainsi qu’une « enquête de participation annuelle ». Ce faible suivi fait apparaître une dissonance avec le compostage partagé. Ce dernier fait l’objet d’un suivi réglementé par l’arrêté du 9 avril 2018. Pour ces sites, un exploitant est désigné responsable de « la bonne gestion du site » dixit l’arrêté. Il doit être formé et doit rappeler les bonnes pratiques d’hygiène lorsqu’il distribue « les matières compostées ». Si l’on se réfère au texte précédent, et à l’annexe technique de cet arrêté, il faut du structurant pour composter. 14 Un tel encadrement n’existe pas pour la pratique d’un ménage qui souhaite composter sur son domaine privé selon Alan Le Jéloux cofondateur de la société Organeo. 15
Des pratiques mal maîtrisées peuvent nuire à l’efficience environnementale du compostage à domicile.
De mauvaises pratiques impliquent que ces derniers ne répondent pas à la définition du compostage écrit dans la norme NFU 44-051 : « Processus de décomposition et de transformation contrôlées de produits organiques sous l’action de populations microbiennes évoluant en milieu aérobie… ». Peu ou pas de brassage, peu ou pas de structurant, un taux d’humidité aléatoire, les griefs relevés sont nombreux dans l’étude de l’Ademe évaluant les pratiques en 2014. La récente thèse de Juliette Dèche sur Nantes métropole relève toujours ces mauvaises pratiques « 51,6 % ne mettent que leurs déchets de cuisine et 46 % ne retournent jamais leur compost ». Cela n’est pas sans conséquence en termes d’émissions de gaz à effet de serre, une mauvaise pratique engendre des émissions de méthane et protoxyde d’azote selon l’Ademe.
Une étude australienne de 2005 concluait à 2800 fois plus d’émissions de méthane pour un compostage à domicile mal mené vis-à-vis de son pendant bien réalisée (Fradet et al., 2014). D’autres études étrangères concluent dans le même sens et en sens inverse (Colon et al, 2010 ; Artola et al., 2010). Les émissions mesurées dépendent notamment du brassage, de l’humidité, mais aussi de la finesse de détection des appareils de mesure par exemple. Aussi en France, dans son bilan des connaissances d’alors, une étude menée pour l’Ademe en 2009 constatait « qu’il n’y avait pas d’études expressément dédiées aux impacts environnementaux du compostage domestique » (RDC environnement, 2009). Toutefois, des études expérimentales mentionnaient « explicitement les risques d’émissions de gaz plus importantes si le processus de compostage domestique a lieu dans de mauvaises conditions ». Pour asseoir les connaissances, cette étude appelait à « faire davantage de mesures réelles sur les pratiques, à réaliser une étude en laboratoire » pour comparer l’impact des pratiques. L'Ademe n'a pas répondu sur l'existence de telles études.
Dans son étude de 2014, l’Ademe mettait en avant la nécessité de mettre en balance la baisse des OMR collectées et traitées face à une faible maîtrise de la pratique pour évaluer l’impact émissif. L’Ademe allait jusqu’à conclure qu’il était « difficile de dresser un bilan global de l’impact du dispositif d’aides de l’ADEME en termes environnementaux », le qualifiant de « mitigé ». 16. Cette absence de bilan peut poser question à l’heure où la France s’est engagée à la COP26 de Glasgow pour baisser ses émissions de méthane de 30 % entre 2020 et 2030. Des millions de petites sources d’émissions de CH4 à domicile sont-elles préférables à une collecte et un traitement optimisé des biodéchets (captage du biogaz, tri de la part fermentescible des ordures ménagères…) ?
Si le compostage à la maison apparaît comme une possibilité évidente et facile à mettre en œuvre, des freins existent encore pour mobiliser les millions de foyers « non pratiquant ». Cela pourrait passer par un accompagnement accru, car comme l’écrit l’Ademe « les efforts à réaliser pour mobiliser toute la population en compostage de proximité ne seraient peut-être pas proportionnels à ceux réalisés pour obtenir l’adhésion d’une première tranche de la population, souvent volontaire. »
L’Ademe, le Ministère de l’écologie et Mme Trémier n’ont pas répondu aux questions au moment du bouclage de cet article. Il sera mis à jour ultérieurement si tel est le cas par la suite. 17 MAJ : l'Ademe a répondu le 10/11, la réponse est en pièce jointe.