Crèches (Babyzness, 2023 ; Le prix du berceau, 2023), ehpad (Les fossoyeurs, 2023), rénovation énergétique (Sénat 2, 2023), fraude sociale à l’assurance maladie (France info 2023 ; Le Monde 2023) pléthore de politiques publiques sont critiquées pour le manque d’effectifs, le manque de contrôles, et le manque de sanctions en vigueur. Ce triptyque s’applique également à certaines politiques publiques liées aux déchets, dont font partie celles de prévention.
Déjà en 1999, dans un rapport du Conseil Economique et Social 1, la rapporteure Michèle ATTAR écrivait sur « “L’ardente obligation de réduire“ […] il n’y a ni instance de contrôle, ni moyens spécifiques, ni vérification de cette “ardente obligation“ ». La politique sur les déchets mise en place depuis la loi de 1992en prenait un coup. Ce constat sectoriel de Mme ATTAR était fait à l’échelle nationale par la Ministre de l’environnement de l’époque en 1998, Corinne LEPAGE. Dans un livre, elle critiquait vertement la « croissance indéfinie » des missions, des compétences, des contrôles de l’État, et pointait la perpétuelle « distorsion entre les missions affichées et les moyens disponibles » qui accompagnait ce grossissement des missions. Vingt-cinq ans plus tard, il est difficile de ne pas constater encore cette « distorsion ». À propos de l’application de la réglementation en matière de consommation et d’environnement (hors ICPE), le journaliste spécialisé Olivier GUICHARDAZ analysait « Le nombre de contrôles est donc souvent ridiculement bas, voire nul. » (Déchets infos n°246). Evoquant le projet de plan national de prévention des déchets 2021-2027, il mettait à l’index l’inadaptation des mesures d’interdiction de plastique à usage unique face aux manques de capacités à les faire respecter par l’Administration.
Le sujet ne sera pas traité ici mais les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) méritent un point d’attention. Au regard de l’ancienneté de la politique contemporaine sur les ICPE (loi de 1976) et des dangers qu’elles représentent pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, cette politique est un cas à part dans la politique rudologique française. Ces ICPE ont vu leurs effectifs stagner depuis une dizaine d’années, mais le nombre de contrôles par inspecteur a lui baissé (Sénat 1, 2023). La prévention des déchets, elle, a pris véritablement corps au début des années 2000 (Bailly et al., 2022).
Le plan national de prévention des déchets 2021-2027 mentionne trois indicateurs de suivi qui font référence à des contrôles. Ils visent la lutte contre les plastiques à usage unique et « les pratiques visant à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’appareils ». En termes de sanction, un indicateur est mentionné, le « Nombre de sanctions appliquées pour non-respect du Stop pub ». Sur ce dernier point, le rapport qui a été rendu public par les décheticiens tend à montrer qu’aucune sanction n’a été prise (Les décheticiens, 2023). Malgré des plaintes enregistrées depuis le 1er janvier 2021, le Ministère de la Justice n’a pas pu donner d’informations sur les suites données à ces plaintes.
Sur les plastiques à usage unique, le n°246 de « Déchets infos » cité plus haut écrivait « qu’aucun contrôle n’a eu lieu en 2022. » sur l’obligation d’installer des fontaines à eau dans les établissements recevant du public (> 300 personnes) 2. C’est pourtant une des mesures qui contribue à réduire de 20 % les emballages plastique à usage unique entre 2018 et 2025 3. Bien sûr, cela doit permettre aussi la baisse de 50 % des mises en marché de bouteilles pour boisson en plastiques à usage unique entre 2018 et 2030 (article 66 loi AGEC). Plusieurs acteurs comme l’association « No Plastic in my sea » se désespèrent de l’absence de respect de la loi et des milliers de fontaines manquants (TF1, 2023 ; Greenvoice, 2023).
Sur un autre sujet, l’indice de réparabilité, là aussi des manquements ont été constatés par l’association HOP et la DGCCRF. En 2021, la DGCCRF a constaté sur le terrain que plus d’un appareil électronique et électronique sur deux n’était pas accompagné de l’affichage obligatoire de l’indice de réparabilité (DGCCRF, 2022) 4. L’association HOP 5 fit ses propres contrôles chez des distributeurs et constata également d’importantes non conformités chez des distributeurs, dont Carrefour notamment (Hop, 2023).
Le dernier exemple concerne la mise en application de la vaisselle réutilisable dans les enseignes de restauration rapide (entre autres) 6. L’association Zero Waste France et son réseau de groupes locaux a visité en janvier dernier près de 300 enseignes parmi quatre grandes enseignes de fast food (Burger King, KFC, Mc Donal et Quick) (ZW France, 2023). Bien que janvier soit la date d’application de cet article, trois ans après la publication de la loi AGEC, près de la moitié des enseignes visitées servaient toujours dans de la vaisselle jetable, totalement ou partiellement. De son côté, le Ministère de la transition écologique fit un point d’étape en janvier, puis un autre en avril où il y avalisa une mise en conformité en retard en juin 2023 pour la plupart des restaurants (MTE, 2023). Il annonçait dans ce communiqué de presse « 16 contrôles ont été effectués dans des restaurants, dont 3 amendes délivrées et 8 rappels à la loi. ». Ce qui est moindre que les visites des associations « zero waste » bien qu’elles n’aient pas de fonctions officielles de contrôle ni sanctions. Le nombre de contrôle apparaît famélique au regard des dizaines des milliers de fast-food existant en France (Le Figaro, 2023). Le pays de la gastronomie consomme de plus en plus de fast-food, et ne contrôle ni ne sanctionne là aussi que peu le gaspillage alimentaire issu de la bonne ou la malbouffe.
Alors que la journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillage alimentaire (GA) vient de se dérouler le 29 septembre, les mesures politiques sur le gaspillage alimentaire sont particulièrement peu suivies, contrôlées et sanctionnées.
Une étude Ademe sur l’alimentation scolaire durable expliquait qu’il n’y avait pas d’informations centralisées ni de cartographie des établissements ayant mis en place une démarche obligatoire de lutte contre le gaspillage alimentaire (Ademe, 2021). L’appel à candidature de l’Ademe pour déployer l’alimentation durable dans les établissements scolaires arrivait à la conclusion que « seulement 30 % des 180 établissements ayant candidaté » avait réalisé leur démarche de diagnostic du GA avant le 21/10/2020 (date butoir réglementaire). Pourtant l’article 102 de la loi TEPCV de 2015 avait déjà prévu qu’une démarche de lutte contre le GA soit mise en place, sans la détailler 7. En 2020, la Cour des comptes remarquait sur ce sujet « Rares sont cependant les collectivités à avoir adopté une démarche formelle, pourtant prévue par la loi du 17/08/2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui toutefois n’a pas instauré de sanction sur ce point. ». (Cour des Comptes, 2020). Le rapport parlementaire que les décheticiens a dévoilé au public disait encore la même chose « La loi, qui impose la réalisation d’un diagnostic préalable à la mise en place d’une démarche de lutte contre le GA, est soit peu assimilée, soit non respectée par manque de contrôles » et « De nombreux établissements de restauration collective n’ont pas encore réalisé le diagnostic obligatoire de GA ». Les rapporteurs invitaient à « coordonner, sous l’égide du préfet de Région, les contrôles relatifs au gaspillage alimentaire » et à conditionner les aides publiques à la réalisation du diagnostic obligatoire du GA. Une autre recommandation pour lutter contre le GA était de « renforcer les contrôles sur le respect des obligations de tri / valorisation des biodéchets » 8.
Sur le don des invendus consommables, rendu obligatoire en 2016 par la loi Garot, le rapport à destination du législateur pointait « un déficit de contrôles du respect des obligations de la loi Garot en raison notamment de la multiplicité des corps d’inspection habilités à effectuer ces contrôles, par ailleurs mobilisés sur des missions prioritaires et régaliennes. ». Dans son livre, Marie Mourad relatait à ce sujet qu’en grande distribution « L’interdiction de jeter, par exemple, est difficile à évaluer ou contrôler 9 […] L’amende de 3750 € prévue par la loi pour la destruction de produits consommables reste peu dissuasive compte tenu des ressources financières des supermarchés concernés. ». Le dernier guide de l'Ademe sur la qualité du don en grande surface invite à "accentuer les contrôles" pour éviter les transferts de charges (déchets, temps de tri...) vers les associations receveuses (Ademe, 2023).
En guise de conclusion sur l’action publique antigaspi, voici comment Marie Mourad termine un chapitre de son livre « Les instruments d’action publique ont ainsi contribué à condamner socialement le gaspillage, par la mise en place symbolique de sanctions plus que leur application effective. ». Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 29/09, un collectif d’acteurs (dont Marie Mourad fait partie) appuie de nouveau sur la nécessité de contrôles et de sanctions de la part pouvoirs publics. Les signataires ciblent notamment la qualité des don faits par des agriculteurs et des commerces (grande distribution notamment) aux associations caritatives. Qualité des dons problématique, proposition pour davantage de contrôles et sanctions, des enseignements déjà présents dans le rapport parlementaire de 2019 évaluant la loi Garot (AN, 2019).
Alors qu’un système de bonus/malus a été évoquée par le Ministre Béchu pour atteindre l’objectif de 2029 pour le recyclage des bouteilles de boisson en plastique (Actu environnement, 2023), en matière de prévention les collectivités sont assez peu sanctionnées. Pour le Ministre, « l’écologie à la française » est « une approche qui privilégie l’incitation plutôt que l’interdiction. » (Ouest France, 2023), mais n’exclut pas la sanction donc. Aussi, l’incitation peut cacher un double langage orwellien, puisqu’elle peut être vécue comme une sanction par certains. Ainsi, de la tarification incitative pour les ménages ayant peu de solution pour réduire leurs déchets, ou encore des collectivités se plaignant d’une TGAP en hausse pour le traitement des déchets alors qu’elles n’ont pas de levier pour écoconcevoir, réduire ou modifier des produits non-recyclables mis en marché.
Dans son dernier grand rapport sur les déchets, la Cour des comptes faisait remarquer que « Dans l’échantillon contrôlé par les juridictions financières 10, 90 % des collectivités territoriales ont fixé dans leur PLPDMA 11 des objectifs chiffrés moins ambitieux que les objectifs nationaux. » Qui plus est, les résultats obtenus sont généralement en-dessous des objectifs fixés précise la Cour. Pourtant les objectifs d’un PLPDMA doivent suivre les objectifs supra locaux (Région, État). Cela met au jour une défaillance préfectorale dans le contrôle de légalité des actes de certaines collectivités. Alors qu’il est question ici de l’outil-phare de planification locale des actions de prévention des déchets. En évoquant la compétence régionale de planification en matière de prévention et gestion, les rapporteurs du rapport interministériel de 2014 écrivait « Un contrôle de légalité effectif devra sanctionner une décision contrevenant au schéma approuvé par le préfet. » Visiblement, ça n’a pas été suivi d’effets.
Sur la tarification incitative, les rapporteurs expliquent qu’une des causes de la non-atteinte des objectifs de tarification incitative (TI) dans la loi Grenelle de 2009 12 est l’absence de sanction des collectivités ne respectant pas l’objectif. Ils proposaient ainsi d’inscrire dans la loi une obligation de déploiement de la TI sous dix ans (2025) et de l’associer de « sanctions en cas de non-respect ». Les auteurs prévoyaient deux risques, celui qu’« en l’absence de sanctions et malgré les incitations, le délai de mise en œuvre ne soit pas respecté » et aussi qu’un « Mécanisme de sanction » serait « difficile à accepter par les collectivités. » L’objectif fixé dans la loi TEPCV de 2015 était de couvrir 15 millions d’habitants par une TI en 2020. Il n’a pas été atteint. L’objectif fixé dans le même article 70 de cette même loi pour couvrir 25 millions d’habitants par une TI en 2025 ne devrait pas l’être non plus, sauf accélération fulgurante. Des aides de l’Ademe (incitations donc) sont prévues pour aider les collectivités à déployer la TI, mais pas de sanctions. Néanmoins, pour la TI comme pour d’autres sujets, une forme de sanction que peut connaître une collectivité est la fin des soutiens financiers de l’Ademe une fois qu’une mesure législative ou réglementaire entre en vigueur. Les chambres régionales des comptes contrôlent les collectivités également.
Sur l’incitation fiscale toujours, voici ce qui était écrit dans ce même rapport interministériel de 2014 sur la redevance spéciale (RS). A l’époque, en 2014, la RS était obligatoire depuis 1993 pour les collectivités n’ayant pas mis en place la REOM : « En 2013, d’après les données comptables de la DGFIP 13, seules 16,6 % des collectivités percevant la TEOM ont instauré une redevance spéciale (absence de sanctions mais risque juridique, arrêt auchan France 31 mars 2014). ». Les rapporteurs évoquaient des difficultés techniques, un manque de volonté politique retranscrits par les collectivités pour sa mise en place, mais aussi « l’absence de sanction pour les collectivités […] explique aussi largement son faible déploiement sur le territoire".
Parmi les autres grands acteurs de la politique déchets en France, il y a les éco-organismes. Eux aussi font l’objet de peu de contrôles et même d’aucune sanction pour les non atteintes de leurs objectifs. Oui, aucun éco-organisme n’a été sanctionné pour non atteinte de ses objectifs depuis 1993 (Stefanovitch, 2023). Yvan Stefanovitch, auteur d’un livre-enquête en 2023, parle de « passivité » et « complicité » des pouvoirs publics (l’État) sur ce sujet. Dans son document de planification sur l'économie circulaire, le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) constate lui aussi une "insuffisance de contrôle, de suivi et de sanctions" pour les filières REP. Le SGPE appelle à « créer une instance de régulation, chargée du suivi et du contrôle des éco-organismes et systèmes individuels » malgré la jeune existence déjà de la Direction de la supervision des filières REP chez l’Ademe.
Dans une note sur le recyclage des plastiques pour l’OPESCT 14, le député Bolo et la sénatrice Préville écrivaient « le suivi et le contrôle des éco-organismes doivent être renforcés » pour inscrire la réduction du plastique comme priorité face au recyclage. Un rapport sénatorial sur les emballages allait dans le même sens (Sénat 3, 2023). Les sénateurs appelaient à contrôler et sanctionner les éco-organismes en cas d’écart avec leurs objectifs. Cela était proposé afin d’assurer la crédibilité et l’efficacité du système des filières REP. Les auteurs proposaient une évaluation à mi-agrément des performances des éco-organismes en charges des filières des emballages ménagers et de restauration, « particulièrement en matière de prévention ». Le tri pour recyclage n’est pas en reste non plus…
Filières REP, interdiction des plastiques à usage unique, indice de réparabilité, allégations environnementales… la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) voit ses attributions s’élargir avec la montée en puissance de la transition écologique (DGCCRF, 2023). La DGCCRF n’est pas la seule à agir sur le volet répressif, la direction générale de l’alimentation peut agir aussi par exemple. Malgré l’épaississement de ses missions, deux sources concordantes constatent la baisse de ses effectifs de contrôle.
Dans son livre « La malbouffe contre-attaque », l’auteur C. BRUSSET, ancien ingénieur de l’agroalimentaire, critiquait les économies faites sur le nombre de fonctionnaires. Il a calculé à partir de sources recoupées que la DGCCRF « a été amputée de 927 agents depuis 2007, soit près du quart de son effectif (Sources syndicats FO, CGT, CFDT, CFTC et site officiel data.gouv.fr). ». Il poursuit son constat par une diatribe en ces mots « Après s’être volontairement placé en situation d’impuissance, l’État a alors demandé aux entreprises de « s’autocontrôler[…] les autocontrôles ne marchent pas ! ».
Des sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain disent peu ou prou la même chose dans leur rapport de contrôle budgétaire de la DGCCRF (Sénat 4, 2022). Voici ce qu’écrivent les rapporteurs sur la DGCCRF, elle « souffre, tout d’abord, de la réduction significative de ses moyens humains depuis 2007 ; en 15 ans, ses effectifs ont été réduits d’un quart, alors que ses missions se complexifient. » Aussi « cette réduction des effectifs conduit à leur mise en tension et menace la bonne exécution des missions », mais également ces réductions « reviennent in fine à réduire les opérations d’enquêtes et de contrôle. […] en-dessous d’un certain nombre d’agents, ceux-ci perdent en spécialisation et doivent couvrir un trop grand champ de compétences. Leurs enquêtes et contrôles perdent alors en qualité et sont trop peu nombreux. ». Une des recommandations est d’avoir un « effectif socle » de sept équivalent temps-plein par département grâce à des recrutements notamment. Ces baisses d’effectifs de contrôle à la DGCCRF existent également pour ceux du contrôle fiscal (Le Monde, 2023). La députée LFI Charlotte Leduc le regrettait chez Le Monde « Ces baisses ont un réel effet sur l’efficacité du contrôle fiscal ».
Une des raisons de ces baisses d’effectifs est celle des économies d’argent public. A l’inverse, les absences d’effectifs pour les contrôles et sanctions nuisent à l’atteinte d’objectifs préventifs, eux-mêmes potentiellement sources d’économies d’argent public ou encore de création de nouveaux emplois (valorisation des biodéchets, offre antigaspi, vrac…). La prévention est sous-dotée en financement public, et le contrôle des objectifs également. Difficilement évaluable, la faiblesse ou l’absence de contrôles et sanctions pourrait également coûter cher au contribuable.
Le Ministère de l’écologie n’a pas répondu aux questions le temps du bouclage de l’article.
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