« On ne gouverne pas avec des symboles ». Voici les mots d’Olivia Grégoire sur l’ISF 1 sur LCI le 11 décembre 2018 et ceux d’Elisabeth MORENO sur l’égalité Homme-femme le 8 mars dans l’émission C à Vous. "Je crois au côté symbolique" voici les propos du secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, Clément BEAUNE, sur les droits des minorités sexuelles en Europe, sur le plateau de l'émission C Politique le 21 mars 2021. Des visions qui divergent sur la puissance symbolique de la politique chez les membres du gouvernement Castex, à l’heure où est écrit cet article.
Pourtant, symbolique, c’est le qualificatif qui irait à la politique de lutte contre les plastiques. Elle s’est intensifiée certes, mais elle tape à côté, surtout en matière de tonnage d’emballages. Avec l’article 7 de la loi du 10 février 2020, la France doit se donner une stratégie sur les emballages plastiques. Un rapport a été publié en ce sens en novembre 2020 pour appuyer le premier décret quinquennal dit 3R (réduction, réemploi, recyclage) pour la période 2021-2025.
Jusqu’alors la politique nationale de la France s’est fixée deux priorités stratégiques sur les plastiques dans la loi AGEC :
Ces deux objectifs sont contraires à l’esprit de la hiérarchie européenne des modes de traitement des déchets, la priorité temporelle est donnée au recyclage en premier lieu, et la prévention est le second objectif affiché. Le premier engagement était une promesse de campagne du candidat Macron, le deuxième, une nouveauté votée sous sa présidence.
Le rapport dit 3R, cité plus haut, vise à mieux connaître notamment la filière des emballages plastiques. Malgré des biais liés aux acteurs interrogés, il informe solidement sur les plus grandes quantités d’emballages plastiques (en tonnage) mis sur le marché 3. Ce qui a comme conséquence de mettre au jour les emballages non ciblés jusqu’alors par les politiques nationales successives.
Depuis leur essor dans les années 1960 (Woronoff, 2015) les emballages plastiques ont envahi nos vies. Un bilan gouvernemental fait donc une caractérisation des emballages mis sur le marché. Bien qu’imprécis à la marge pour les emballages industriels et commerciaux, les données de mise sur le marché permettent de savoir quels sont les emballages les plus mis en circulation. Voici le top 3 emballages plastiques ménagers, industriels & commerciaux mis sur le marché en milliers de tonnes, ils représentent près d'un tiers de la mise sur le marché :
Tous ces emballages disposent d’une filière de recyclage bien développé en France en 2020. En outre, les auteurs attestent qu’ils intègrent déjà de la matière recyclée ou peuvent le faire en boucle fermée, avec moins de contraintes que pour des emballages aptes au contact alimentaire. Le rapport sur le décret 3R indique seulement le taux de recyclage pour les bouteilles d’eaux, 55 % actuellement. Les taux de recyclage des emballages industriels et commerciaux ne sont pas donnés par manque d’informations.
Concernant leurs potentiels de réduction, les 3 emballages cités ont des évaluations à 20 % pour les deux premiers et 10 % pour le troisième. Leur potentiel de réemploi est important pour les bouteilles d’eau et les contenants de liquides pros, mais très faible pour les films de palettisation. La faiblesse des chiffres de réduction est liée aux faibles retours pour les films par exemple, et peut être liée aussi à la nature même des acteurs interrogés ayant peu d’intérêt à évoquer de forts potentiels de réduction pour leur business. A souligner, le rapport ne fait pas mention du développement de la consommation d’eau du robinet dans le potentiel de réduction des bouteilles d’eau. Si les dépenses de consommation d’eau en bouteille (en €/hab) ont été multiplié par quatre entre 1965 et 2015 (CGDD, 2017), la consommation s’est s’infléchie en 2020 pour des raisons écologiques et budgétaires probablement (Obsoco & Citeo, 2021). A partir de bases de données de l'Ademe, le journal spécialisé Déchets Infos a conclu dans son numéro 203, que la consommation d'un litre d'eau du robinet émet 2100 à 3400 fois moins d'émissions d'eq.-Co2 que l'eau en bouteille. Le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) n'a pas répondu jusqu'ici à la question sur l'absence de mention sur l'eau du robinet comme potentiel de réduction.
Pour atteindre le potentiel de réduction de 20 % d’ici 2025 dans les emballages plastiques à usage unique, les auteurs conseillent d’agir « en priorité sur les emballages indésirables ou inutiles », mais pas sur les plus pondéreux. Ce qui semble le plus logique pour un calcul de réduction en tonnage.
Au passage, les auteurs indiquent que pour les emballages de produits alimentaires frais les contraintes pour changer d’emballage semblent plus élevées et le potentiel de réduction « est limité ». Une assertion qui semble se baser sur une pérennisation de la domination du libre-service où les produits préemballés empêchent généralement d’être servis dans son propre contenant réutilisable. Le potentiel et difficile à évaluer selon les auteurs car il implique des changements de consommation. Ce changement bien que représentant une faible part du marché, vient en partie de la consommation vrac dont la croissance est exponentielle, selon un rapport de l’association Réseau Vrac (Réseau Vrac, 2020). Mais ce secteur est moins développé sur l’alimentaire frais que sur les produits secs.
Le casse-tête du « en même temps » se fait jour chez les emballages plastiques. Ce rapport traduit la schizophrénie française qui consiste à vouloir se donner une stratégie de réduction des déchets plastiques, tout en poussant le recyclage à 100 % d’ici 2025. Pour réduire réellement les emballages plastiques, il faudrait s’attaquer hiérarchiquement aux plus gros tonnages. Mais cela ferait baisser la part d’emballages recyclés de l’autre côté, donnant plus de poids aux tonnages sans filières de recyclage (emballages multicouches, multirésine, en PVC 5, en PSE 6 ou difficiles à recycler actuellement (pots de yaourt, emballages souples en polypropylène) s’ils ne sont pas interdits ou n’entrent pas rapidement dans une filière. Pour atteindre le 100 % recyclé, en bref, il va falloir soit :
=> baisser la production ;
=> augmenter la collecte et le recyclage ;
=> faire les deux.
Aussi, pour rentabiliser le lancement d’une filière industrielle il faut environ 10 000 tonnes d’emballages selon les industriels de la filière plastique. Ce qui ne va pas dans le sens de la prévention.
Sous la pression de l’opinion publique, des luttes d’associations et des connaissances grandissantes de la communauté scientifique depuis une dizaine d’années (OPECST 7, 2020), la législation se durcit mais mollement. La politique de réduction de certains usages des plastiques a commencé en 2016 avec l’interdiction des sacs de caisse, bien après d’autres pays comme l’Erythrée ou le Rwanda (Greenpeace, 2020).
Des lois ont interdit des produits et emballages plastique pour plusieurs motifs tels que la préservation de la biodiversité, l’exemplarité, la santé infantile ou adulte par exemple. Cela s'est matérialisé par des lois interdisant certains plastiques d’emballages ou produits à usage unique, via la loi de Transition Energétique pour la Croissante Verte (TEPCV) de 2015, la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité en 2016 et la loi Antigaspillage pour une Economie Circulaire (AGEC) de 2020 notamment. La loi de 2015 comportait 10 occurrences faisant référence au matériau plastique, la loi de 2020, plus de 50. Aussi, les plastiques étaient ciblés par 4 interdictions dans la loi TEPCV, quand ils sont la cible de plus de dix interdictions dans la loi AGEC. Cette dizaine d’interdictions est inventoriée en annexe. Cette loi AGEC n’a néanmoins pas fait l’objet d’étude d’impact sur les tonnages en jeux (Les échos, 2020) et nous l’avons vu, les enjeux sont ailleurs.
Cette politique à réaction de lutte contre les emballages plastiques, qui représente 46,3 % de la consommation de plastique en France 8 (Idem OPESCT), lutte contre des symboles de l’usage unique au lieu d’agir sur les plus grosses productions d’emballages plastiques. D’un point de vue pondéral, il est peu probable que ces lois agissent sur la baisse des déchets produits en France, cela pourrait même être l’inverse en cas de substitution par des matériaux plus lourds (bois, biopolymères, papier/carton, verre…). Ces substitutions « peuvent s’avérer contre-productives, voire dangereuses… » dit l’OPESCT. C’est pourtant la recommandation n°15 d’un rapport parlementaire publié près d’un mois plus tard : « substituer papiers et cartons au plastique dans les emballages à usage unique et pour les usages du plastique qui seront interdits. » (Assemblée Nationale, 2021).9 Quand deux institutions font des recommandations contraires…
Ce matériau apparaît plus ciblé que d’autres plus pondéreux (minéraux, bois, carton, papier, verre, acier…) 10. Le rapport Chaussade précise à son sujet :
« Le plastique représente un gisement de déchets assez faible (3-4% du volume de déchets national) », hors déchets de construction.
Il remarque que l’enjeu est surtout mondial pour le plastique. Les emballages sont responsables de près de 60 % de l’ensemble des déchets plastiques produits chaque année en France selon une étude citée par ZW France. Donc les emballages plastiques ne représentent quasiment rien dans le poids des déchets du pays malgré une hausse continue. Dans leur ouvrage Plastique le grand emballement, Nathalie GONTARD et Hélène SEINGIER affirment que nous consommons plus de 100 kg de plastique par habitant en France chaque année (tous types confondus). Cela a donc doublé vis-à-vis de 1978 en comparaison avec les propos de Gérard BERTOLINI dans son livre Rebuts ou ressources ? la socio-économie du déchet.
La France n’a pas ciblé jusqu'alors les plus grosses productions d’emballages plastiques dont la durée de vie est courte. "On en fait souvent un usage assez court, notamment pour les emballages" dixit Amorce au sujet du plastique (Amorce, 2019). La fondation Heinrich Boll dans son atlas du plastique évalue à 5 mois en moyenne la durée de vie utile d’un emballage plastique. Ils prennent de la place, ils peuvent être dégradés aisément, ils ont peu de valeur… ce qui en fait des biens aussitôt jetés ou presque après consommation.
La bouteille plastique est un des seuls emballages au tonnage important qui a fait l’objet d’interdictions ciblées et elle fait l’objet d’une politique de réduction des déchets avec l’objectif de réduire de 50 % le nombre de bouteilles mise sur le marché 11 d’ici à 2030 dans l’article 66 de la loi AGEC. Les bouteilles plastiques pour boisson (eaux, bière, jus, lait, alcools...) représentent près d'un tiers des emballages plastiques ménagers mis sur le marché en 2019, et 7 % des 5,1 millions de tonnes d'emballages ménagers totaux(Deprouw et al., 2021 ; Ministère de la transition écologie, 2020 ; Citeo, 2021). Qui contrôlera l’atteinte de l’objectif ? se basera-t-on sur les dires des metteurs sur le marché ? L’une des recommandations du rapport de l’OPECST dans la rubrique « réduire la production de plastique » est d’établir une stratégie pour réduire les productions plastiques :
« Définir une liste hiérarchisée ordonnée des plastiques à réduire en considérant leur qualité ; leur évitabilité ; leur durée de vie ; leur risque de fuite vers l’environnement ; leur substituabilité ; ».
En partie en réaction à ce rapport, un projet de loi en discussion au Parlement vise à réduire les fuites vers l’environnement pour préserver le vivant, et la santé (Sénat, 2021). Cela confirme que les enjeux quantitatifs ne sont pas mis au rang de priorité chez les élus de la République.
L’OPCEST enjoint la France de se donner désormais une stratégie de réduction des plastiques, ce qui a été fait sur les emballages. Ce que la France n’a pas fait jusqu’alors. Le législateur paraissait réagir au gré des pressions de la société civile (citoyens, associations) contre le matériau plastique qui est perçu négativement. Déjà en 1999, il apparaissait aux yeux d'enquêtés comme le matériau le plus polluant vis-à-vis du métal, papier, carton ou du verre (Moch, Rieger et Simeone, 1999). Face à ces pressions d’une partie de l’opinion publique, le secteur de la plasturgie réagit en avançant l’argument (la menace ?) éculé de la destruction d’emplois dans les TPE, PME notamment (emballages, magazine, 2020). En Europe comme en France, le secteur de la plasturgie pèse lourd. L'Europe est le deuxième producteur mondial de plastique derrière la Chine, le secteur pèse 350 milliards d'€ de CA 12, 60 000 entreprises et 1,5 millions de salariés (PONS, 2020). La France n'est pas en reste, puisque notre pays héberge la "Plastics Vallée" dans le Haut-Bugey avec plus de 600 entreprises et 15 000 salariés. Les gouvernants ont fait des compromis entre les attentes des uns et des autres en touchant à des symboles, sans grande prise de risque politique.
Le rapport de l’OPECST recommande au sujet de l’emploi : « Accompagner la reconversion des entreprises qui seraient directement impactées par des interdictions de plastiques ». 13. Les interdictions de plastique vont se développer normalement, c'est une des conséquences de la politique nationale de réduction des plastiques qui : « s’est considérablement renforcée à partir de 2020 et devrait aboutir, d’ici 2025, à réduire significativement le nombre d’emballages à usage unique. » (idem OPECST) Et elle devrait les supprimer d’ici 2040 donc. Normalement.
La stratégie dite 3R pourrait s’appeler trois ères. Après l’ère du tout élimination pour le plastique (enfouissement, incinération), l’ère du recyclage devrait prendre le relais avant la consécration de l'ère de la prévention. La prévention, un mode de traitement des déchets qui doit attendre son tour, bien qu’au sommet de la hiérarchie en théorie. Entre la publication des lois et leurs applications, l'écart est parfois grand.
Amorce, 2021. Collecte et recyclage des masques à usage unique : opportunité ou fausse bonne idée pour les collectivités ?
Amorce, 2019. Plan territorial de lutte de gestion des plastiques. 12p.
Assemblée Nationale, 2021. Mission d’information sur la filière du recyclage du papier.
BERTOLINI G., 1978. Rebuts ou ressources ? la socio-économie du déchet. Editions entente, 152p.
Breakfree from plastic, fondation Heinrich Böll, la fabrique écologique, 2020. Atlas du plastique.
Citeo, 2021. Infographies et chiffres clés.
Commissariat Général au Développement Durable, 2017. Ménages et environnement. Les chiffres clés.
Déchets Infos n°203, 2021. Consigne sur les plastiques : une lourde facture et beaucoup d'incertitudes.
Emballages magazine, 2020. « Le réemploi devient un enjeu stratégique ».
GONTARD N. & SEINGIER H., 2020. Plastique le grand emballement. Editions stock, 220p.
Greenpeace, 2020. 34 interdictions des plastiques en Afrique – un état des lieux.
Les échos, 2020. Plastiques à usage unique : pourquoi les interdire n’est pas si simple
Loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
MOCH, RIEGER & SIMEONE, 1999. Attitudes et représentations vis-à-vis des déchets.
PONS N., 2020. Océan plastique : enquête sur une pollution globale.
Obsoco & Citeo, 2021. Observatoire de la consommation responsable. Analyse détaillée.
OPECST, 2020. Pollution plastique : une bombe à retardement ?
Réseau vrac, 2020. Commerces spécialisés vrac. Synthèse septembre 2020.
Sénat, 2021. Proposition de loi visant à lutter contre la pollution plastique.
Woronoff, 2015. Histoire de l’emballage en France du XVIIIe à nos jours. Edition Presses Universitaires de Valenciennes. 223p.
Zero Waste France, 2019. Territoires Zero Waste : guide pratique pour révolutionner la gestion locale des déchets. Editions rue de l’échiquier. 156p.