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Plan national de prévention des déchets 2021-2027 : du plus, de l'irrégularité et d'importants "oublis"

Poubelles tombées au sol - freepik
Le Ministère de l’écologie a publié en retard et en catimini le 3e plan national de prévention des déchets 2021-2027. Il reprend majoritairement des mesures déjà consacrées dans les textes réglementaires et programmes divers. Le financement national de la prévention est absent. Des documents importants manquent à l’appel ou à la pelle, comme vous voulez.

Un plan étoffé, en retard par rapport à l’ancien, mais a priori sans conséquences

La 3e version du PNPD est épurée vis-à-vis de la précédente qui comportait 13 axes 1 et 54 actions répartis dans un document de 146 pages. Ce nouveau plan est articulé autour de cinq axes et 47 mesures. Il comprend finalement 56 pages au lieu de 51 lors du projet présenté en ligne au public du 9 janvier au 7 février 2023. Ce raccourcissement de la pagination vis-à-vis de l’ancien plan ne traduit pas une réduction des ambitions et des mesures. Comme le notait l’autorité environnementale (AE) dans son avis rendu en 2022 « les ambitions, les leviers et les moyens qui figurent désormais dans le code de l’environnement sont significativement relevés par rapport au 2e plan national ». Plus de 90 % des actions du plan proviennent de mesures législatives et réglementaires issues des lois TEPCV, Egalim, AGEC (70 % de cette loi), Climat, REEN par exemple. Ce plan est codifié à l’article L541-11 et suivants. Il a notamment vocation à « atteindre les objectifs définis par la loi ». A contrario du 1er du genre lancé en grande pompe en 2004 (Bailly et al., 2022), celui-là a été publié très discrètement sur le site du Ministère de l’écologie.

Les cinq axes du PNPD 2021-2027

Il est donc publié avec plus de deux ans de retard, sans procédure d’infraction engagée par la Commission Européenne, eu égard au non-respect du droit européen. Ce « décalage » selon les termes écrits dans le PNPD s'explique par les « changements majeurs » apportés par la loi Agec et la loi climat. Ce décalage explique-t-il aussi le raccourcissement illégal de la durée de consultation pour rattraper un peu de retard ? « Déchets infos » notait dans son 246e numéro que la consultation avait été raccourcie de plus d’un mois au lieu de tenir sur les deux mois réglementaires (fixés à l’article L541-11 du code de l’environnement). Concernant la consultation toujours, l’avis de l’autorité environnementale n’a pas été mis à disposition du public dans le dossier de la consultation sur le site dédié (seulement mentionné), contrairement à la demande de l’AE dans son rapport. Le plan est publié alors qu’il sera presque arrivé à la moitié de sa durée de vie l’an prochain. Ce décalage n’est pas propre à ce plan. C’est symptomatique du domaine des déchets et notamment de la prévention. Le respect de l’interdiction de la vaisselle jetables dans les fast-foods, le démarrage à l’heure de filières REP (pneumatiques, emballages de la restauration…), le décret sur l’interdiction de vente de fruits et légumes sous conditionnement plastique, l’obligation de zones de réemploi en déchèterie, le démarrage de l’observatoire du réemploi et de la réutilisation, le signalement d’emballages excessifs ne respectent pas les délais à la lettre.

Sur le contrôle des infractions, le plan y fait référence plusieurs fois. Il évoque les infractions au non-respect de la loi sur l’obsolescence logicielle, sur l’interdiction des plastiques à usage unique, sur le non-respect du stop-pub… Il précise seulement que les résultats des contrôles de la DGCCRF sur le respect de l’indice de réparabilité seront publiés en 2023. Le PNPD ne précise pas les moyens et les services mobilisés pour constater et appliquer les sanctions. D’autres potentielles infractions ne seront pas suivies, par exemple l’obligation pour certains restaurants ou débits de boisson de proposer un gourmet bag ou une tarification plus basse lorsque le consommateur apporte un contenant réemployable.

Malgré des retards et des manquements pour appliquer des textes réglementaires actuels toujours plus importants, cela n’a pas découragé le Ministère pour ajouter de nouvelles parties à la version définitive du plan.

Un peu de nouveau par rapport à la version projet en consultation

Le plan définitif a intégré des propositions de l’autorité environnementale et/ou des contributions de la consultation en ligne. Ces ajouts sont explicités ici. Alors que la première version ne mentionnait pas une fois le terme « biodéchets », cette thématique a désormais deux pages et demi qui lui sont dédiées. Pour les seuls biodéchets des ménages, seulement 30 % sont gérés à domicile soit 5,1 millions de tonnes, et 40 % sont dans les ordures ménagères (AJBD et al., 2018). Le reste est collecté en porte-à-porte, en point d’apport volontaire ou déchèterie. Sur 32 millions de tonnes de déchets ménagers produits en France selon le rapport de l’AE, les biodéchets représentent donc un tonnage majeur à éviter.

L’objectif national de réduction de 50 % de bouteilles en plastique à usage unique en 2030 a un nouvel indicateur. Il s’agit du « Nombre de bouteilles pour boisson en plastique à usage unique mises sur le marché chaque année ». Un indicateur qui sera difficile à contrôler puisque les données sont dans les mains des metteurs en marché principalement. Aussi, l’objectif pourrait paraître difficile à atteindre dans un contexte potentiellement croissant de rupture d’approvisionnement en eau potable du robinet. Qui plus est, les multiples alertes sur la présence de polluants dans l’eau du robinet (s-métalochlore, atrazine, Chrolothanil, PFAS, microplastiques…) pourraient faire croire à une eau potentiellement plus saine dans les eaux embouteillées. Cela engendrerait un détour d’une partie des usagers de l’eau du robinet vers l’eau en bouteille. Pourtant, l’exigence de contrôle et la transparence sur sa composition en polluants de ces dernières n’est pas à la hauteur de ce que fournit le service public français. C’est une des conclusions d’un rapport mondial réalisé pour l’ONU (Institute for Water, Environment and Health, 2023).

Enfin, le « toxiscore » des produits ménagers (entendre ici, pour faire le ménage) a une rubrique. L’ancienne Ministre de l’écologie, Barbara Pompili, avait annoncé le 7 mai 2021, sur la radio France info, la création d’un toxiscore pour les produits ménagers dès 2022. Questionné sur ce sujet le 3 septembre 2022, le service presse du Ministère a indiqué le 5 septembre que l’ANSES avait été saisie sur ce sujet fin 2021. Le Ministère précisait que l’Agence a pour mission d’élaborer une "méthode de calcul permettant d’évaluer de façon globale la criticité des dangers sanitaires et environnementaux associés à l’utilisation des produits ménagers destinés aux consommateurs afin de renforcer la lisibilité de leurs étiquetages". Presque deux ans après l’annonce de la Ministre, aucun toxiscore n’est en vue dans les rayons. D’autres retards ou "oublis" du Ministère, plus importants encore, sont en cours.

Des oublis de taille : des moyens, des bilans, des rapports

Sur le financement des actions de prévention, on peut déceler un éparpillement des fonds qui y sont dédiés. Le document cite le plan « France 2030 », le plan de relance, les programmes d’investissement d’avenir (PIA), le fonds économie circulaire ou encore le très récent « fonds verts » comme sources de financements. L’analyse à mi-parcours (2024) des effets des Contrats de Plan État-Région sur la prévention était recommandée par l’AE pour envisager des évolutions pour la financer. Cette dispersion des montants dédiés à la prévention rend difficilement lisible et transparent les financements dédiés à la prévention. Il est ainsi extrêmement difficile de vérifier si « Les soutiens et les aides publiques respectent la hiérarchie des modes de traitement des déchets définie au II du présent article et la hiérarchie de l'utilisation dans les ressources définie à l'article L110-1-2 » comme le mentionne l’article L541-1 du code de l’environnement. A priori, sur les 150 premiers lauréats du fonds vert, cet article serait respecté. Mais certains mélanges de financement rendent l’analyse difficile, par exemple cette dénomination « gestion de proximité et collecte des déchets » (746 660 €). Aussi, l’AE recommandait d’intégrer des mesures fiscales favorables à la prévention dans les lois de finances. Rien ne mentionne cela dans le plan.

Illustration des catégories d'actions éligibles au "fonds verts" du Ministère de l'écologie.

Malgré la nécessité de déterminer des indicateurs, le PNPD ne reprend pas ceux recommandés récemment par la Cour des comptes par exemple. Aucun indicateur national transparent, transversal n’est donc à l’ordre du jour. La Cour recommandait notamment deux indicateurs nationaux de supervision du financement de la prévention, à publier annuellement sur les sites de différents ministères :

Les indicateurs nationaux du financement de la prévention proposés par la Cour des comptes en 2022

Le PNPD prévoit des indicateurs financiers sectoriels, par action. Un de ceux-là concerne le « montant des soutiens financiers » dédié à accompagner l’investissement dans l’écoconception de produits et services via les PIA 2 et via « France 2030 ». D’autres concernent les « montants alloués à des réparateurs labellisés dans le cadre du fonds » (réparation) et la « dotation effective des fonds » (réemploi et réparation). Le Ministère craindrait-il que les fonds ne soient pas utilisés dans leur entièreté ? Aussi, d’autres indicateurs ciblent les montants financiers alloués à la réduction, au réemploi ou au développement de solutions de substitution des emballages plastiques 3 , ou encore le montant dédié à la gestion de proximité des biodéchets.

Au rang des autres oublis, le précédent plan volontaire 2004-2013 avait fait l’objet d’un bilan. Le nouveau PNPD indique page 7 que le PNPD 2014-2020 a fait l’objet d’un bilan qui évalue « l’atteinte des objectifs fixés en matière de réduction des déchets et le degré de réalisation des différentes actions du programme ». Demandé le 15 janvier, le Ministère avait répondu le 18 janvier que « Le bilan du PNPD est en cours de finalisation. Celui-ci sera publié au plus tard en même temps que le nouveau PNPD. ». Cet écrit n’a pas été respecté, il n’a pas été publié en même temps, contrairement à la recommandation de l’AE également (MAJ du 13/04/2023 : le bilan a bien été publié par le Ministère, après la consultation, le 3 mars, ici)

Extrait du rapport de l'autorité environnementale sur le bilan du PNPD 2014-2020

Seuls trois paragraphes évoquent ce bilan, en expliquant que l’objectif de baisse de 10 % des DMA entre 2010 et 2020 n’a pas été atteint. Ce bilan sommaire indique que des marges de progrès sont possibles pour mobiliser les entreprises, les éco-organismes, et pour poursuivre les efforts de sensibilisation et communication. L’évaluation environnementale de ce nouveau plan n’a pas été publiée non plus, alors que l’AE avait qualifiée le rapport environnemental fourni par le Ministère comme ne répondant pas à « une évaluation environnementale » réglementaire (article R122-20 code de l’environnement). Celui-ci était incomplet selon l’AE et ne permettait pas de savoir si ce PNPD permettrait d’atteindre les objectifs fixés dans la stratégie nationale bas carbone, ou dans le plan ressources par exemple pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et nos consommations de matériaux. Enfin, malgré la demande de bilan de l’AE sur l’article 79 de la loi TEPCV, rien n’a été fourni. Pourtant les travaux publics sont le plus gros pourvoyeur de déchets en France d’après les bilans annuels de l’Ademe.

Un rapport n’a pas été rendu non plus. C’est un rapport qui concernait la « pollution plastique », il a été commandé par le législateur via l’article 8 de la loi AGEC. Il devait être rendu en même temps que le plan national de prévention des déchets. Afin de répondre aux objectifs des politiques publiques visant à réduire la pollution plastique, il devait traiter de la reconversion des entreprises du secteur de la plasturgie. Un enjeu majeur au vu des bouleversements du secteur annoncé dans la loi AGEC. Des milliers d’entreprises et des dizaines de milliers de salariés sont concernés.

Dans la partie dédiée à la réduction des imprimés publicitaires non sollicités, il y a eu un peu de changement. Deux nouveaux indicateurs sont apparus, le « nombre de sanctions appliquées pour non-respect du Stop pub » et la « population couverte par le Oui pub ». Sur le premier ajout, l’article 46 de la loi AGEC a introduit une sanction pour non-respect du stop pub apposés sur les boîtes aux lettres des ménages, administrations ou entreprises. Cette sanction est effective depuis le 1er janvier 2021. L’article 21 de la loi climat de 2021 a introduit une nouveauté. Il visait à évaluer la mise en œuvre de la sanction et son impact sur la distribution des publicités non sollicitées. Un rapport devait être remis « Au plus tard le 1er juin 2022 ». Interrogé le 14 septembre 2022 à ce sujet, le service presse du Ministère répondait le même jour qu’il serait prêt « pour la fin de l’année 2022 ». Près d’un an après, toujours rien n’a été publié. Relancé à ce sujet fin février 2023, le Ministère de l’écologie a indiqué que le rapport serait transmis au secrétariat général du Gouvernement dans la semaine. Réinterrogé début mars, le Ministère rectifiait, le rapport devait être « complété sur un point, en lien avec le ministère de l'Intérieur. ». Finalement il n’avait pas été transmis au secrétariat. D’abord annoncé comme rendu public fin février par le ministère, il n’était finalement plus annoncé « public » en mars, et sera transmis en catimini au Parlement. Interrogé sur les raisons de ce revirement, le Ministère n’a pas répondu.

Le précédent plan n’a pas participé à atteindre les objectifs législatifs de baisse des DMA, rien ne permet de prédire que celui-ci réussira son coup pour les ménages et aussi pour les entreprises.

Sources

AJBD, Adeline SEROUSSI, Céline GODOY. CITEXIA, Sylvie COURBET. ADEME, Olga KERGARAVAT, Alexandra GENTRIC. 2018. Etude technico-économique de la collecte séparée des biodéchets. 115 pages.
Autorité environnementale, 2022. Avis délibéré de l’Autorité environnementale
sur le 3 e plan national de prévention des déchets (PNPD).

Bailly, Barbier et Daniel, 2022. La prévention des déchets. Innovations sociales, action publique et transition sociotechnique. Editions Peter Lang, 348p.
Contexte, 2023. Briefing du 28 mars 2023. Après consultation du public, le plan national de prévention des déchets a été modifié à la marge.
Cour des comptes, 2022. Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser.
Déchets infos n°246, 2023. Prévention : Un plan national en retard et avec des trous.
France info, 2021. Toxi-scores sur les produits ménagers, interdiction des lumières bleues pour les enfants : Barbara Pompili détaille le plan santé environnement.
Institute for Water, Environment and Health, 2023. Global bottled water industry : a review of impacts and trends.
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2023. Bilan du programme national de prévention des déchets 2014-2020.
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2023. Plan national de prévention des déchets 2021-2027.
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2023. Projet plan national de prévention des déchets 2021-2027.
Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2023. Projet plan national de prévention des déchets 2021-2027.

  1. le site les décheticiens avait repris une grande partie de ses axes pour catégoriser les thématiques abordées[]
  2. programme d’investissement d’avenir[]
  3. cette dernière n'est pas nécessairement de la prévention.[]
Nota bene : cet article a été publié à une date qui correspondait peut-être à l’époque à un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Les informations qu'il vous propose ne sont peut-être plus à jour. En cas d’erreurs ou d’inexactitudes, merci d’aider à les corriger en me communiquant vos remarques et commentaires.
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