En 2004, les auteurs du premier plan d’actions pour la prévention des déchets écrivaient « il faut que d’ici quelques années, la préoccupation de prévention soit aussi présente à l’esprit des Français que celle du recyclage. Pour atteindre ce but ambitieux, il ne suffira pas de décréter la prévention, il faudra convaincre » (MEDD, 2004). La médiatisation est un moyen de rendre la prévention des déchets aussi voire plus présente à l’esprit des résidents français que le recyclage. Le concept mis en évidence dans cet article est celui de l'agenda setting, autrement dit de la mise à l'agenda des sujets dans les médias, de la hiérarchisation des sujets pour faire bref.
La revue Futuribles résume ainsi, sur le sujet climatique, le potentiel d'influence des médias sur l'opinion publique « Très schématiquement, les outils d’information et de communication contribuent au bruit médiatique et influent sur les prises de conscience individuelles […]. S’ils s’avèrent souvent insuffisants pour modifier les pratiques, ils sont en revanche cruciaux pour légitimer les politiques publiques » (Futuribles, N°435). L'analyse de Futuribles est applicable aux déchets au regard de leur impact sur le climat.
Malgré que ce soit un sujet climatique (et environnemental), mon analyse n’a pas révélé de hiérarchisation de l’information au regard des modes de traitement des déchets. Le recyclage est toujours prédominant vis-à-vis de la prévention et parfois de loin. Nous pourrions penser que les modes de traitement feraient l’objet d’une stratégie éditoriale des médias concernés, en publiant plus d’articles sur les modes les moins émissifs (prévention, réutilisation) que sur les autres modes de traitement, mais non 1. Cette place importante occupée par le recyclage pourrait ralentir l'essor de la prévention dans la société, alors qu'elle présente généralement plus de bénéfices environnementaux, toutes choses étant égales par ailleurs. C'est un des constats d'un rapport du Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Un rapport des Nations Unies de 2015 annonce que les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) pourraient baisser de 10 à 15 % grâce à des politiques de gestion des déchets plus efficaces (baisse de l'enfouissement, meilleur valorisation énergétique et recyclage). La prise en compte de la prévention des déchets permet, selon ce rapport, d'améliorer le résultat en atteignant 15 à 20 % voire plus de baisse des émissions de GES (ISWA & UNEP, 2015).
Un rapport de recherche de l'Ademe invitait à s'interroger sur la co-existence d'une norme sociale 2 promouvant le tri (donc généralement le recyclage) et d'une norme sociale promouvant la prévention (Ademe, 2017). Cela au motif que la première norme banalise la production de déchets quand la deuxième cherche à les éviter. Communiquer autant sur le recyclage que sur la prévention apparaît contradictoire.
Jusqu'à ce jour un seul média a répondu à mes questions sur leur ligne éditoriale en matière de déchets (si elle existe). Le journal Le Monde a déclaré ne pas avoir de ligne éditoriale précise sur le sujet (sic). L'Ademe n'a pas répondu.
Parmi les modes de traitement analysés, le recyclage est celui qui domine le plus les publications des médias analysés. Concernant le journal national Le Monde, 1,5 % des 1667 articles analysés évoque un mode de traitement des déchets. C’est la part la plus faible vis-à-vis des autres médias concernés (Sud-Ouest et Reporterre). Voici la hiérarchie des 67 articles passée au filtre du mode de traitement des déchets :
Concernant le journal de presse quotidienne régionale Sud-Ouest Gironde, 1,9 % des 2452 articles analysés évoque un mode de traitement des déchets. Voici pour ce quotidien la hiérarchie des 47 articles passée au filtre du mode de traitement des déchets :
Concernant le média Reporterre, 8,6 % des 105 articles analysés évoque un mode de traitement des déchets. Voici la hiérarchie des 105 articles passée au filtre du mode de traitement des déchets :
Cette analyse fait ressortir que le recyclage est le mode de traitement le plus évoqué dans ces trois médias analysés, et d’assez loin. La prévention arrive dans le top 3 pour chaque média. Sa présence dans les contenus des journalistes est plus forte chez Sud-Ouest, peut-être est-ce dû à un plus grand nombre d'action sur le champ de la prévention en local (Gironde) comparativement au national où les compétences sont moindres (législative, exécutive, judiciaire, et communication surtout).
L’Ademe applique la politique déchets du gouvernement au niveau national. C’est un de ces 5 domaines d’intervention en plus des thématiques suivantes « sols pollués et friches, énergie et climat, air et bruit, actions transversales ». L’Ademe en tant établissement public national référent sur les déchets communique à travers divers supports sur les déchets. L’Ademe influe donc sur les prises de conscience individuelles, et donc sur une partie de l’opinion publique et sur les politiques publiques sûrement. Elle accompagne d’ailleurs les collectivités, les élus en ce sens. Ses publications sur son fil twitter suivent la hiérarchie européenne des modes de traitement des déchets. La prévention est le sujet le plus évoqué en septembre 2020. L’analyse pourrait permettre de dire que c’est un modèle de hiérarchisation des publications sur la thématique du traitement des déchets. Voici les résultats :
Sur les 227 publications sur son fil twitter, 46 étaient liées aux déchets soit 20,3 %. C’est la 3e thématique faisant l’objet des publications du compte Ademe sur ce mois. 41,9 % des publications concernaient ce que l’Ademe appelle des « actions transversales » soit des tweets sur des thématiques telles que la production et la consommation durable, les villes et territoires durables. Cette thématique a fait l’objet du plus grand nombre de publication. Ensuite, en second, 22,5 % des publications concernaient la thématique « énergie et climat », enfin en 3e vient les déchets.
Cette hiérarchisation est-elle volontaire de la part de l’Ademe ? le mystère demeure car je n'ai pas eu de réponsesà mes questions.
Cette étude a été menée en s’inspirant de la méthodologie évoquée par Reporters d’Espoirs dans son étude Médias-Climat (Reporters d’Espoirs, 2020). Durant le mois de septembre 2020, j’ai dû analyser des milliers d’articles de presse écrite sur Internet afin d’y recenser la part du nombre d’article traitant de prévention et gestion des déchets (hors déchets nucléaires). Trois journaux de presse écrite ont été analysés (un échantillon donc qui n'est pas nécessairement représentatif) : Le Monde, Sud Ouest, Reporterre. Le fil twitter de l’Ademe a également été analysé pendant un mois.
J’ai choisi de retenir des quotidiens traitant plus les sujets climatiques pour augmenter la probabilité de lire des articles sur les déchets. Les déchets sont un sujet climatique. En 2019, 3,2 % des émissions de gaz à effet de serre étaient liées aux déchets en France et 82 % des émissions 2019 du secteur « déchets » étaient dues au stockage selon le Haut Conseil pour le Climat (HCR) 3. Les émissions ont baissé de 2,2 % entre 2018 et 2019, elles se sont transférées du secteur du stockage vers l’incinération explique le HCR. Les émissions en tonnes équivalent Co2 baissent de façon sectorielle dans le secteur des déchets depuis le début des années 2000 selon le rapport annuel du HCR.
Ainsi, j’ai choisi de retenir ces trois journaux car Le Monde et Sud Ouest se révèlaient être les quotidiens de PQN 4 et PQR 5 traitant le plus des sujets climatiques en 2019 dans l’étude de Reporters d’Espoirs intitulée Médias-Climat. J’ai analysé également Reporterre qui s’affiche comme « le quotidien de l’écologie » sur son site. Enfin, j’ai analysé le fil twitter de l’Ademe qui est « un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation » selon son site.
J’ai choisi de retenir les mots faisant référence à la hiérarchie européenne et française (art.L541-1 du code de l’environnement) des modes de traitement des déchets :
Certains mots ont été écartés car ils me paraissaient trop équivoques, ils évoquaient potentiellement plusieurs modes de traitement et n’étaient pas assez clair sur le mode de traitement évoqué : « économie circulaire » (pouvant inclure la prévention, le recyclage, la réutilisation notamment), « élimination » (pouvant évoquer l’enfouissement et l’incinération), « TMB » (Tri-Mécano-Biologique). Ce dernier a été exclu de l’analyse car il est plus une installation de tri que de pré-traitement (tri-compostage, tri-méthanisation, tri-stabilisation des OMR) 11.
J’ai également analysé les mots et expressions apparentés, moins technocratiques, qui relèvent des champs lexicaux de chaque mode de traitement. Voici des exemples de mots et expressions apparentés retenus :
- Prévention : vrac, réemploi, produits ménagers DIY, composter (à domicile sans collecte), écoconception, auto-réparation, lutte contre le gaspillage... ;
- Réutilisation : réparation (réparation par un tiers avec passage par le statut de déchet) ;
- Recyclage : Recycle, recyclé, recyclage matière/organique 12) (après collecte)... ;
- La valorisation : valorisation énergétique, méthanisation 13), brûlé, incinéré... ;
- Elimination : centre d'enfouissement, enfoui, décharge, centre de stockage...
Les auteurs des articles confondent certains modes de traitement (parlent de réduction des déchets après avoir parlé de recyclage…), parlent de réutilisation pour parler de réemploi également. J'ai classé les termes employés selon le mode de traitement cité malgré l'erreur manifeste.
Des modes de traitement peuvent entrer dans deux à plusieurs catégories. La réparation peut rentrer dans le giron de la prévention ou dans celui de la préparation en vue de la réutilisation quand l’objet en question passe au statut de déchet (collecte, préparation/contrôle/nettoyage avant réparation par un tiers). Pareillement pour le compostage, celui peut entrer dans la catégorie « recyclage », s’il se déroule après une collecte. En revanche, il rentre dans le champ de la prévention quand il y a tri et traitement à la source (compostage chez soi, compostage partagé/en établissement). Le contexte et le sens de l'article m'ont permis de classer correctement les termes utilisés.
Concernant le journal Le Monde tous les articles présents dans le journal numérique ont été retenus. Il n’y avait pas publication du journal numérique le dimanche. Pour Sud Ouest, seuls les articles régionaux et locaux parus dans le journal numérique de la Gironde ont été pris en considération. Les articles d’information nationale n’ont pas été retenus car ils étaient en partie couverts par l’analyse du journal Le Monde. La rubrique « utile » n’a pas été prise en compte non plus. Deux jours d’analyse manquent pour ce média (22 et 30 septembre). Concernant le journal en ligne Reporterre, les articles retenus étaient ceux de la rubrique « toute l’info ». Il n’y avait pas d’articles le dimanche. Concernant le fil twitter de l’Ademe, les tweets en Anglais n’ont pas été retenus. Les retweets ont été retenus.
J’ai d’abord voulu recenser le nombre de mots par article et j’ai abandonné le deuxième jour car cela s’avérait trop fastidieux eu égard à mon temps libre. Même un copier-coller dans un logiciel de traitement de texte était trop hasardeux car il recensait les mots et certains signes (crochet, virgule…). L’analyse s’est donc portée uniquement sur les textes, via le raccourci clavier "contrôle F" notamment qui permet la recherche de mots ciblés. La titraille (titre, sous-titre, surtitre), le chapô, la légende de photos, les schémas et tableaux ont été exclus de l'analyse. Aucun nom propre n’a été retenu dans l’analyse de tous les médias (par exemple, Recyclerie). Enfin, les termes « prévention » qui ont été analysés l’ont été uniquement via le prisme détritique. Certains articles l’utilisaient au sens sanitaire du terme, cette acception du mot prévention n’a pas été retenue.
Bien sûr, j’aurais pu analyser d’autres d’éléments comme les noms d’organismes cités, la part de paroles publics, privés, associatives, la part dédiée aux solutions comparativement à la part dédiée aux problèmes évoqués, la part de sujets locaux, régionaux, nationaux… mais j’ai analysé tout cela bénévolement et cela m’a déjà pris un certain temps. J’aurais pu comparer la corrélation entre les publications des différents médias et la part des différents modes de traitements en France, traduite dans l’enquête ITOM de 2016 réalisée par l’Ademe. Il n'y aurait pas eu de corrélation non plus, l'enfouissement et l'incinération représentant respectivement près d'un tiers et d'un quart des déchets traités par cette enquête.
J’ai fait ce choix d’analyse car il évoque un principe important mis noir sur blanc dans la législation européenne et dans la législation française depuis plusieurs années. Vous le savez probablement, cette hiérarchie n’a aucune traduction concrète dans les budgets déchets des collectivités ni probablement dans le fonds économie circulaire de l’Ademe (peu transparent), ni dans le plan de relance dédié à l’économie circulaire qui fait la part belle au recyclage matière (plastique notamment) et organique 14 (Actu environnement, 2020). Cette hiérarchisation n’est donc pas non plus effective à propos des déchets dans les médias les plus prolifiques sur le sujet climatique. Il n'y a que l’Ademe qui hiérarchise ses publications sur son fil twitter. Fil twitter qui compte près de 119 000 abonnés à l’heure où je publie cet article.
Je pense qu’il serait intéressant de faire la même analyse sur une durée plus longue pour voir si les données récoltées sont les mêmes, et pour donner une meilleure analyse des médias. Pour améliorer encore cette analyse, il faudrait élargir le spectre des publications analysées dans d’autres médias pour élargir l’échantillon analysé et le rendre plus représentatif du panel médiatique français. Dans cette logique, il faudrait réaliser cette analyse pour d’autres médias que la presse écrite, par exemple pour la télévision et la radio, deux autres médias importants en France. L’INA a fait récemment une telle analyse sur le temps d’antenne dédié aux sujets environnementaux pour la radio et la télé par exemple (INA, 2020).
Faut-il augmenter la part de publications sur les modes de traitement des déchets ? ou faut-il garder le même nombre de publication tout en les hiérarchisant eu égard aux modes de traitement des déchets ? Une hiérarchisation semble plus pertinente qu’une trop grande augmentation de publications, cela pourrait lasser les récepteurs des messages. A cet égard, il faut être vigilant sur la façon de communiquer (Monnot et Reniou, 2013). La prochaine analyse du genre sera faite sur un an concernant le média spécialisé "Déchets infos", analyse en cours.
Ademe, 2019. Les installations de traitement des déchets ménagers et assimilés en France.
Amorce, 2019. Etat des lieux et analyse des performances des unités de tri-compostage, tri-méthanisation et tri-stabilisation françaises.
Conseil National de l’Emballage, 2019. Ecoconception des produits emballés : guide méthodologique.
Futuribles n°435, 2020. La transition écologique en France : un défi sans précédent.
Haut Conseil pour le Climat, 2020. Redresser le cap, relancer la transition.
ISWA & UNEP, 2015. Global waste management outlook.
Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable (MEDD), 2004. Prévention de la production de déchets.
Reporters d’Espoir, 2020. MédiasClimat comment les médias traitent-ils du changement climatique ?
INA, 2020. Etude INA. En 20 ans l’environnement est devenu un sujet d’information générale.
Union Européenne. Politique de l’UE en matière de déchets : historique de la stratégie.
vu.